Les révisions de la croissance pour 2024 sont à la baisse, et une réduction des dépenses publique risque de s’imposer pour tenir l’objectif de déficit. Pour André Cartapanis, ce serait une erreur de pilotage macroéconomique.
La situation macroéconomique de la France se dégrade. L’activité s’essouffle et le gouvernement s’apprête à réviser ses prévisions de croissance pour 2024 : non pas +1,4%, le trend sur lequel a été bâti le budget, mais plutôt +0,9% (+0,6% selon les dernières prévisions de l’OCDE). Du coup, les recettes fiscales en pâtissent et l’objectif officiel d’un déficit public pour 2023 de 4,9% du PIB, et de 4,4% en 2024, ne pourrait être atteint qu’au prix d’une réduction de certaines dépenses publiques, de l’ordre de 10 milliards d’euros selon certaines sources. Mais ce serait là une erreur de pilotage macroéconomique.
Les« chiffres magiques » de Maastricht
D’abord, la justification d’une telle inflexion à l’aune d’un risque élevé d’insoutenabilité du déficit budgétaire et de la dette publique est loin d’être avérée. Le principe de la soutenabilité est simple : il s’agit de ne pas dépasser un seuil (déficit budgétaire/PIB, dette publique/PIB) au-delà duquel un Etat ne parvient plus à « rouler » sa dette, en refinançant sur les marchés obligataires les Bons du Trésor échus, et s’expose soit au défaut, soit à des primes de risque exorbitantes sur les marchés. Mais ni l’histoire économique, ni la théorie économique ne sont parvenues à mesurer sans ambiguïté ces seuils, et les « chiffres magiques » de Maastricht (3% du PIB pour le déficit budgétaire et 60% du PIB pour la dette publique) n’ont jamais résulté d’une modélisation théorique pleinement convaincante. Ils présentent plutôt un caractère conventionnel ou incantatoire. Le fait que les règles budgétaires de l’Union européenne continuent de s’y référer, y-compris dans l’accord conclu le week-end dernier, n’y change rien.
Risque d’une crise politique et sociale
La soutenabilité budgétaire est fonction de la valeur future ou anticipée de nombreuses variables (taux d’intérêt, inflation, croissance potentielle, taux d’épargne, consentement à l’impôt…) mais également de l’acceptabilité sociale et politique des mesures qui pourraient être jugées nécessaires pour assurer la stabilisation du poids de la dette publique. Aujourd’hui, en France, le risque d’une crise politique et sociale paraît plus important que le risque d’insoutenabilité budgétaire, surtout avec des taux d’épargne qui restent élevés et un appétit pour les titres d’Etat encore très fort. Un « tour de vis » budgétaire et le risque accru de nouvelles tensions sociales pourraient induire une dégradation de la notation souveraine et des primes de risque, selon une logique autoréalisatrice.
Rappel de l’erreur de politique économique de 2011-2013
Ensuite, dans le contexte d’une politique monétaire de la BCE qui restera restrictive encore pendant plusieurs mois, et d’une conjoncture mondiale qui s’essouffle, une réduction du déficit public « ex ante » présenterait un risque élevé d’accentuation du ralentissement de l’activité, et pourrait même, « in fine », conduire non pas à une amélioration mais à une nouvelle dégradation « ex post » de la situation budgétaire, compte tenu du jeu des multiplicateurs et des effets induits sur les recettes fiscales.
L’alourdissement supplémentaire de la dette publique que le refus d’un nouvel ajustement budgétaire occasionnerait n’est pas une solution optimale pour la France et créerait de nouvelles tensions avec Bruxelles. Mais les effets d’une réduction des dépenses publiques dans le contexte actuel pourraient s’avérer bien pires encore et rappeler l’erreur de politique économique au sein de la zone euro en 2011-2013 lorsque la consolidation budgétaire, trop rapide et trop massive, a provoqué une récession en Europe tandis que l’économie mondiale entrait dans un nouveau cycle de croissance.