En maintenant sa note de la dette souveraine française mais en la plaçant sous perspective négative, Fitch envoie un signal à Paris. Philippe Trainar explique pourquoi cet épisode ne lève pas les doutes sur les prochaines notations à venir jusqu’à fin novembre.
L’agence de notation Fitch a finalement maintenu la note AA- de la France mais dégradé ses perspectives de stables à négatives, ce qui veut dire que le projet de loi de finance et les promesses du gouvernement n’ont pas totalement convaincu les notateurs, que l’agence de notation n’exclut pas une poursuite de la dégradation des finances publiques de notre pays et que la France est donc sous surveillance.
Les raisons de ce scepticisme n’ont rien de surprenant. Elles ne font que refléter le sentiment de l’opinion de la majorité des français (raisonnables), des marchés financiers et des analystes. Tout d’abord, la France n’est malheureusement pas connue pour sa maîtrise des finances publiques qui ont eu tendance à se détériorer lentement mais sûrement depuis un demi-siècle sans que le pays s’en inquiète sérieusement. Ensuite, cette détérioration de nos finances publiques est imputable à la progression continue des dépenses publiques et sociales dont le poids n’a jamais cessé de croître en pourcentage du PIB. La France est clairement l’un des grands pays industrialisés où l’usage clientéliste de la dépense publique s’est le plus imposé. Enfin, le gouvernement actuel semble bien fragile, sans majorité politique, ne perdurant que grâce à la tolérance, pas nécessairement bienveillante, et en tout état de cause soigneusement calculée, de l’extrême droite, dans un pays qui cultive la culture du conflit (de la lutte des classes, des genres, des races…) et qui ignore à peu près tout de la culture du compromis. Un gouvernement en sursis ? Pas nécessairement… grâce aux capacités de négociation exceptionnelles de Michel Barnier, qui sont vraisemblablement sous-estimées par les analystes, notamment les analystes étrangers.
La décision de Fitch ne lève toutefois pas totalement les incertitudes sur la notation de la France, Moody’s devant prendre sa décision le 25 octobre prochain (actuellement cette agence note la France Aa2… en gros l’équivalent de AA-) et Standard & Poors le 29 novembre prochain (actuellement cette agence note la France AA-). La crainte demeure donc d’une dégradation de la note par l’une de ces deux agences de notation, qui constituent en outre des références plus suivies par les marchés internationaux que Fitch. Certains estiment donc que le risque d’élargissement du spread de la France par rapport à l’Allemagne, qui s’élève actuellement à 75-80 points de base (0,75-0,80%) alors qu’il se situait à environ 50 points de base (0,50%) en fin d’année dernière, n’est toujours pas à écarter.
Cette crainte est-elle fondée ? Certes, Moody’s et Standard & Poors vont travailler à partir des mêmes données que celles dont Fitch a disposé. Pour autant, on ne peut exclure qu’elles accordent plus d’importance à la traditionnelle inertie de la France en matière de maîtrise des finances publiques et à la fragilité du gouvernement de Michel Barnier, dans la formation de leur opinion. Il n’y a guère de science certaine en la matière. En outre, elles bénéficieront, grâce aux premiers débats parlementaires, d’informations politiques supplémentaires. En revanche, il n’est pas sûr qu’une révision à la baisse de la notation de la France par ces agences entraîne mécaniquement une hausse du spread de la France vis-à-vis de l’Allemagne, surtout une hausse significative. Les marchés n’ont guère réagi à l’annonce de Fitch.
Les études empiriques, notamment celles du FMI, font ressortir que la relation entre la notation d’un pays et sa situation financière est non-linéaire. Plus cette notation est basse ou plus sa dégradation est forte par rapport aux anticipations du marché, plus le risque d’une hausse significative des spreads du pays concerné est elle-même forte. Cette non-linéarité s’explique tout d’abord par le fait que l’on se rapproche de la frontière d’ « investment grade », en deçà de laquelle la plupart des entreprises et des fonds exclut la possibilité d’investir dans la dette concernée. Elle s’explique aussi par le fait que, en général, les agences de notation n’apportent pas d’information nouvelle au marché dans la mesure où elles réagissent non point à des informations d’initiés mais à des informations déjà connues du marché et qui sont donc d’ores et déjà incorporées dans les prix.
En dehors de ces deux cas de figure, la décision d’une agence de notation ne peut donc induire de réaction du marché que si elle prend ce dernier par surprise, en raison soit d’une information nouvelle (politique ou économique), soit d’une analyse de la situation originale. Si tous ces critères étaient plus ou moins remplis lors de la crise grecque, il n’en va pas de même pour la France aujourd’hui et il n’y a aucune raison de penser, à ce stade, que d’ici la fin novembre les agences de notation puissent apporter des informations ou analyses totalement nouvelles. Même dans l’hypothèse d’une fragilisation imprévue du gouvernement de Michel Barnier, le marché réagira selon toute vraisemblance avant les agences de notation.