Vendredi 22 février, la Bourse de Paris a battu son record en séance. L’année dernière, les profits des entreprises du CAC40 ont de nouveau flambé. Les mois se suivent et se ressemblent, alimentant un peu plus chaque jour la polémique autour des dividendes versés aux actionnaires. Fausse polémique et erreur de jugement, selon Jean-Paul Betbeze
Quand une (grande) entreprise verse de gros dividendes, c’est pour attirer l’attention sur son titre afin qu’il soit acheté, donc qu’il monte. Mais cette société sait aussi qu’elle sera critiquée par des politiques qui parleront d’inégalités, en répétant : « les dividendes profitent aux riches », sans oublier les « experts », pires encore, qui vont nous expliquer qu’ainsi l’actionnaire seul s’enrichit. Mais les deux oublient que l’entreprise décaisse cet argent qui appartient à l’actionnaire, après la décision de distribution.
En plus, contre ceux qui disent que les dividendes enrichissent les riches, c’est oublier que les multimillionnaires ont mieux à faire que d’acheter un titre qui rapporte 5%. 3 euros de dividende pour un titre Total qui en cote 59, alors qu’ils en obtiennent plus ailleurs ou par des montages ! Grinçant.
« Le dividende est un DAB interne »
Surtout, finance élémentaire, les dividendes sont un transfert depuis la caisse de l’entreprise jusqu’à la vôtre. C’était de l’argent promis par l’entreprise en fonction de ses résultats grâce au financement que vous lui avez apporté en achetant une action. On ne nous l’avait pas dit ! Pourtant, le vrai mystère de cette opération est le même que celui d’un retrait au Distributeur Automatique de Billets. Personne ne pense que cette opération ne va pas diminuer son compte bancaire : le dividende est un DAB interne.
Le cas récent de Total, qui distribue des milliards d’euros, illustre cette mécanique et la multinationale se fait critiquer. Quoi, encore de l’argent pour les riches pris à des populations pauvres ! Quoi, une captation de rente (venant de l’exploitation de cette énergie fossile) et qui pollue le monde, alors que tout cet argent pourrait aider les populations locales et réduire les pollutions ! Mais sans actionnaires, ce pétrole serait resté au fond. Le dividende est un transfert où l’entreprise distribue une part de ses profits à ceux qui les ont permis, en prenant des risques. Bien sûr, la distribution de dividende n’est pas naïve : l’entreprise dit qu’elle fera au moins aussi bien par la suite. Dès lors, une très large part des dividendes reçus sera immédiatement réinvestie en achats d’actions… Total. Il ne faut pas s’étonner si le cours du titre remonte : les actionnaires seront plus fidèles encore, car ils ont compris le message.
Penser l’après pétrole
C’est la même logique qui fonctionne pour les rachats d’actions. Et l’on retrouve ici Total, avec des milliards promis sur plusieurs années. Il s’agit de fidéliser plus les actionnaires pour soutenir la double politique de dé… – et de moindre – …carbonation. Elle passe par le photovoltaïque, l’hydrogène ou l’éolien. Total n’est pas isolée dans sa démarche, mais sans doute plus en avance que ses grands concurrents.
Utiliser les résultats du pétrole pour s’en passer : étrange masochisme ! De fait, la distribution de dividendes ne va pas sans un débat sur les choix d’investissement en faveur de l’après pétrole, sachant qu’il faut toujours investir pour entretenir les puits existants, plus dans les futures énergies. Pour l’heure, les profits des majors sont au plus haut, avec 36 milliards de dollars chez Exxon Mobil, 28 avec chez Shell et 21 à égalité chez Chevron et Total, mais rien ne dit que leurs désirs d’être neutres en carbone à l’horizon 2050 seront tenus, tant est forte la concurrence entre elles. Les milliards investis dans l’après-pétrole vont contre ceux qui permettent le pétrole d’aujourd’hui et de demain : ils sont autrement plus rentables et certains. Distribuer des dividendes pour décarboner, outre le jugement moral que l’on peut porter sur l’engagement, l’appui d’investisseurs de long terme, de caisses de retraite et de fonds souverains (norvégien notamment), ne va pas de soi. Il s’inscrit dans une joute de vitesse, ou… de lenteur : Petrobras a annoncé qu’il serait bon dernier ! Faut-il donc ralentir l’effort ?
Verser un gros dividende, c’est pour gagner la course mondiale contre le pétrole, mais grâce à lui. Une idée… à expliquer !