Jugées responsables de la crise de 2008, les banques n’y sont pour rien dans le déclenchement de l’actuelle récession. Mais selon Patrick Artus, les grands établissements bancaires risquent de payer un lourd tribut au coronavirus.
De la mi-2007 à la fin de 2013, les banques européennes ont été une des causes de la crise des subprimes puis de la zone euro. A cette période, elles ont considérablement durci les conditions du crédit, aussi bien aux ménages qu’aux entreprises, ce qui a conduit à une contraction du crédit et à la récession.
Les banques européennes ont été touchées par les pertes réalisées sur les produits titrisés construits à partir des crédits immobiliers aux Etats-Unis, et par un mécanisme de contagion avec une défiance mondiale vis-à-vis des banques qui avaient considérablement accru leur coût de financement (les marchés financiers valorisaient une probabilité annuelle de faillite des banques à 0% en 2007, puis de 5% en 2011). En conséquence de cette crise bancaire, il y a donc eu dans la zone euro amplification du recul de l’investissement des entreprises (qui ne retrouvent qu’en 2015 leur niveau de 2007), et division par trois du niveau de la construction de logements entre 2007 et 2009. Il faut attendre 2014 et l’annonce de la politique monétaire non conventionnelle de la BCE pour que les conditions du crédit bancaire redeviennent normales dans la zone euro.
La situation est tout à fait différente aujourd’hui. Tout d’abord, les banques sont en situation de prêter. Les fonds propres des établissements au début de la crise du Covid permettent un accroissement de 90% de l’encours de crédit en respectant les règles prudentielles ; il n’y a pas de perte sur les actifs financiers détenus par les banques qui amenuisent leur capacité à distribuer du crédit.
Ensuite, les Etats de la zone euro ont compris qu’ils pouvaient utiliser le lien entre les banques et les entreprises pour soutenir l’économie. Les banques commerciales distribuent les prêts garantis par les Etats ou les banques publiques, en sachant analyser les besoins et les risques de leurs clients.
Le contraste avec la situation américaine est ici intéressant. Aux Etats-Unis, même les entreprises de taille moyenne se financent essentiellement sur le marché obligataire (du High Yield) ; certes la Réserve Fédérale achète des obligations High Yield et a créé un programme d’achats de prêts aux PME. Mais on observe que la transmission de ces programmes aux entreprises est beaucoup moins bonne aux Etats-Unis, avec un financement essentiellement de marché aux entreprises, que dans la zone euro, avec un financement essentiellement bancaire des entreprises, en l’absence du relais des banques aux Etats-Unis.
On attend ainsi un taux de défaut montant jusqu’à 10% sur les entreprises moyennes aux Etats-Unis, seulement jusqu’à 6% dans la zone euro. Utiliser le canal du crédit bancaire pour soutenir les entreprises est donc efficace. Il reste cependant de nombreux défis.
D’abord, malgré les mesures de soutien, les faillites d’entreprises vont se multiplier, ce qui va dégrader progressivement la situation des banques. Ensuite, même si les entreprises passent cette crise grâce aux prêts garantis par les Etats, elles vont, après la crise, être beaucoup plus endettées, donc beaucoup moins aptes à investir et à créer des emplois ; il faudrait donc, dans un second temps, être capable de transformer ces prêts bancaires en fonds propres ou en quasi-fonds propres.
Enfin, le modèle économique des banques européennes, avec des fonds propres de très grande taille, s’est révélé efficace puisqu’il permet aux banques de prêter dans une récession avec des ajustements mineurs dans la régulation. Mais il faut comprendre qu’il génère un modèle d’intermédiation coûteuse, puisque les banques supportent un coût élevé qui est le besoin de rentabiliser ces fonds propres de grande taille.