Aucun des trois favoris pour la présidence de la Commission européenne n’a été retenu par les chefs d’Etats et de gouvernement réunis au sommet à Bruxelles. Alain Trannoy explique en quoi cet épisode rebat déjà les cartes en matière de grands équilibres.
La nouvelle Commission n’est pas encore choisie, mais le fait que la candidature de Manfred Weber ait été écartée n’est pas sans signification. Manfred Weber s’est déclaré en faveur de la concurrence fiscale lors du débat qui a eu lieu à Bruxelles, avant les élections européennes, entre les Spitzen-candidats des différents partis du Parlement européen.
Comme il est douteux que l’Allemagne puisse véritablement gagner cette course au moins-disant fiscal, les raisons non explicitées de cet engouement sont à rechercher du côté de l’idéologie : vouloir limiter la taille de l’Etat Leviathan, un thème populaire chez les économistes libertariens, en bridant les recettes fiscales sur les entreprises. Les économistes du courant dominant, eux, ne considèrent pas que la concurrence fiscale soit à recommander. Si les capitaux doivent s’investir dans un pays, il est préférable que cela corresponde à des avantages en termes de gains de productivité que ce pays peut procurer plutôt que sur la manipulation de règles fiscales.
A cet égard, la décision des Etats-Unis de baisser le taux fédéral de l’IS de 34% à 21% est une décision majeure qui révèle comment la plus grande puissance économique du monde n’a pas pu rester insensible à l’intense compétition fiscale que se sont livrés les pays européens depuis plusieurs décennies. Un trio de pays de l’union Européenne emmené par l’Irlande avec son taux d’impôt sur les sociétés à 12,5%, efficacement secondée par les Pays-Bas et le Luxembourg, deux pays fondateurs de l’Union européenne, faut-il le rappeler, ont permis à l’Union Européenne d’apparaître comme un terrain privilégié de la concurrence fiscale.
L’UE peut-elle redevenir une force de proposition en matière fiscale ?
La brutale baisse aux Etats-Unis constitue-t-elle le point d’aboutissement de cette dynamique baissière avec un palier autour de 20-25%, au-delà duquel tous les pays considéreront qu’ils seront perdants, et ainsi favoriser une halte, de concert, à la course vers le moins disant fiscal ? Une inconnue à cette heure reste la façon dont le Royaume-Uni sortira de l’UE. En mars 2020, les profits des entreprises ne seront plus taxés qu’à 18% dans ce pays. Un Brexit non négocié et tapageur peut annoncer une stratégie britannique visant à retenir les activités, en particulier du secteur de la finance, sur son sol au moyen du seul instrument fiscal, transformant la Grande-Bretagne en une sorte de Singapour aux portes de l’Europe.
Il est en tout cas symptomatique que l’instance de négociation pour des pratiques encadrées en matière d’échange d’information et de bonnes pratiques soit devenue au fil des ans l’OCDE plutôt que l’UE. L’UE peut-elle redevenir une force de proposition dans le domaine, ou les intérêts sont-ils trop divergents ? A voir les succès économiques éclatants de l’Irlande et du Luxembourg liés à cette stratégique fiscale prédatrice, il est clair que la règle de l’unanimité en matière fiscale, imposée par le Royaume-Uni lors des négociations sur la constitution européenne, bloque toute évolution vers une coopération renforcée pour un arrangement sur une méthode d’apportionement des recettes tirées d’une sorte d’IS européen.
Le motif d’espoir est que, sous l’impulsion de Pierre Moscovici, la Commission européenne actuelle a suggéré d’adopter les règles fiscales communes à la majorité qualifiée. Un projet qui doit toutefois être adopté… à l’unanimité. Seule une improbable réforme des traités permettrait de faire passer la politique fiscale de l’UE de la règle de l’unanimité à celle de la majorité qualifiée.
Cette tribune est publiée dans le cadre des 19e Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence. Alain Trannoy interviendra dans la session, « la concurrence fiscale est-elle inévitable ?», samedi 6 juillet 2019.
Les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence
Les 5, 6 et 7 juillet 2019 « Renouer avec la confiance !»
3 jours de débats ouverts et gratuits, organisés par le Cercle des économistes.
De portée internationale cet évènement réunit chefs d’entreprise, universitaires, étudiants et représentants de la société civile venus du monde entier autour d’un thème au cœur de l’actualité économique.
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