L’incertitude économique combinée à l’instabilité politique risque de lourdement compromettre les perspectives de croissance en France, les rapprochant de zéro, alerte l’économiste Patrick Artus.
La France vit depuis la dissolution de l’Assemblée nationale et encore plus depuis la censure du gouvernement Barnier dans une situation de forte incertitude politique et économique. Ce double risque a déjà des effets très négatifs sur l’économie française, que nous allons décrire ici.
Le premier concerne l’investissement des entreprises, qui reculé (en volume) de 1,4 % au 3e trimestre 2024. Les entreprises n’aiment pas l’incertitude et ont été inquiétées par les discussions et propositions portant sur la hausse des impôts ou la réduction des allégements de charges sociales. Le taux d’investissement des entreprises par rapport au PIB n’est plus que de 11,5 %, contre 12,2 % au début de 2023, ce qui va renforcer l’insuffisance de l’investissement et la faiblesse de la productivité (le niveau de la productivité du travail est de 4 points inférieur aujourd’hui à ce qu’il était à son pic de 2019).
Le second effet négatif se voit à l’évolution du taux d’épargne des ménages. Il n’arrête pas d’augmenter : 15,2 % fin 2019, 17,9 % au 2e trimestre 2024, 18,2 % au 3e trimestre 2024. Les ménages réagissent, en épargnant davantage, à l’incertitude sur l’emploi (le nombre de défaillances d’entreprises a dépassé 66.000 sur douze mois au 3e trimestre 2024, soit +20 % sur un an), sur l’avenir du système de retraites, sur la générosité de l’Assurance Maladie. Leur comportement freine leur consommation. Et parce que la consommation des ménages et l’investissement reculent tous les deux, il faut attendre une croissance très lente ou même nulle ou négative à partir du 4e trimestre 2024.
Le poids du service de la dette
Le troisième effet négatif de la hausse de l’incertitude se voit à l’évolution de l’écart de taux d’intérêt à 10 ans entre la France et l’Allemagne : 45 points de base avant la dissolution de l’Assemblée nationale, 85 points de base au début de décembre 2024. Quarante points de base de hausse du taux d’intérêt à long terme, compte tenu du niveau de la dette publique de la France (112,9 % du PIB à la fin du 3e trimestre 2024) impliquent qu’il est nécessaire de réduire le déficit public primaire de 0,45 point de PIB supplémentaire (11 milliards d’euros) pour stabiliser le taux d’endettement public.
« L’incertitude politique repousse la date de mise en place des réformes qui sont nécessaires.«
De plus, cette hausse du taux d’intérêt à long terme payé par l’Etat français se répercute sur les taux d’intérêt payés par les entreprises et les ménages. A long terme, elle va déprimer davantage l’investissement des entreprises et les achats de logement des ménages, alors que la vente de logements neufs commençait à se redresser (+6 % sur un an).
Si l’incertitude politique se prolonge ou si des décisions sont prises qui compromettent le retour à un déficit public plus faible (par exemple si la réforme des retraites est annulée), on peut attendre une poursuite de la hausse des taux d’intérêt à long terme de la France relativement aux autres pays européens.
Absence de réformes
Enfin, dernier effet négatif, l’incertitude politique repousse la date de mise en place des réformes qui sont nécessaires : réforme du système éducatif, réforme du marché du travail, réforme fiscale. La stabilité politique, impliquant normalement la stabilité des règles fiscales, du droit du travail, des normes environnementales… est nécessaire pour que les entreprises, les ménages et les investisseurs puissent avoir la confiance nécessaire.
L’instabilité politique qui s’est installée en juin 2024 a déjà fortement freiné la consommation, l’investissement, les achats de titres publics, particulièrement par les non-résidents. Il en résulte une forte baisse de la perspective de croissance : plus de 1 % en rythme annuel à une croissance à peine positive. Il faudrait vraiment que les hommes politiques prennent en compte ces effets très défavorables de l’instabilité politique et, en conséquence, de l’incertitude sur la politique économique