La Banque centrale européenne prépare un ensemble de mesures pour continuer de soutenir l’économie du Vieux Continent. Ces mesures incluent une baisse des taux d’intérêt mais prévoient des compensations pour les effets des taux négatifs sur les banques. Patrick Artus explique pourquoi la poursuite de cette politique monétaire n’est pas sans risques, loin s’en faut.
La BCE a choisi d’avoir des taux d’intérêt nuls (0% pour le taux repo) ou négatifs (- 40 points de base pour le taux des dépôts des banques à la banque centrale) ; elle va probablement en septembre passer à une politique monétaire encore plus expansionniste : baisse du taux d’intérêt des dépôts, confirmation de la réouverture du Quantitative Easing (des achats d’obligations par la BCE).
En anticipation de ces décisions, les taux d’intérêt à long terme de la zone euro ont beaucoup reculé : – 70 points de base pour le taux d’intérêt à 10 ans de l’Allemagne, – 30 points de base pour le taux d’intérêt à 10 ans des swaps en euros (qui est la base des taux d’intérêt des obligations des entreprises et des crédits).
Nous allons ici nous poser trois questions : pourquoi la BCE mène-t-elle cette politique ? Quels sont ses effets positifs et négatifs ? Où nous mène-t-elle à moyen terme ?
Une inflation qui reste faible
La BCE peut mener cette politique monétaire ultra expansionniste parce que l’inflation de la zone euro reste faible : l’inflation sous-jacente est de 1% alors que le taux de chômage est proche probablement de son niveau incompressible (structurel). L’absence d’inflation dans la zone euro vient plutôt du fonctionnement des marchés des biens et services : elle résulte de ce que les entreprises ne parviennent pas, avec la concurrence, à passer dans leurs prix leurs coûts de production.
Mais ceci ne veut pas dire que le seul objectif de la BCE est de redresser l’inflation : elle veut aussi maintenir la solvabilité des Etats qui ont une politique budgétaire expansionniste (France, Italie), elle a aussi une très forte aversion, après la crise de 2008-2009, pour les récessions et le risque de crise financière. Ceci implique que la perspective aujourd’hui la plus probable est bien la poursuite et l’amplification de la politique de taux d’intérêt bas, avec le ralentissement de la croissance et l’absence d’inflation. Qu’en penser ?
Dans la colonne des effets positifs, il y a évidemment le fait que, avec des taux d’intérêt nuls ou négatifs et le recul associé des paiements d’intérêts sur les dettes, tous les agents économiques (Etats, entreprises, ménages), même très endettés, sont solvables. Or une récession, une crise financière, vient toujours de la perte de la solvabilité par un groupe d’agents économiques qui doit ensuite réduire ses dépenses (les entreprises en 2000, les ménages en 2008, les pays périphériques de la zone euro en 2010). Si, grâce aux taux d’intérêt nuls et négatifs, tout le monde est solvable, il peut y avoir ralentissement cyclique mais pas récession.
De nombreux effets négatifs
Mais la colonne des effets négatifs est très longue. Les taux d’intérêt négatifs affaiblissent les banques en faisant chuter les taux des crédits et, avec, les taux d’intérêt négatifs sur leurs réserves (le rendement des fonds propres des banques de la zone euro n’est que de 5% en 2019, contre 15% en 2007) ; ils menacent l’assurance-vie, avec le recul continuel du rendement du fonds en euros ; ils constituent une «spoliation» des épargnants, et vont appauvrir les futurs retraités ; ils maintiennent en vie artificiellement des entreprises inefficaces (qu’on appelle les entreprises «zombies») ; ils poussent l’épargne vers les actifs monétaires qui rapportent 0% (dépôts à vie) ; ils favorisent l’apparition de bulles, ce qu’on voit déjà sur les prix de l’immobilier.