Pourquoi et comment réindustrialiser la France ? La pandémie et la crise économique qui a suivi ont remis la question sur le devant de la scène avec insistance, sans pour autant vraiment inspirer les candidats à l’élection présidentielle. L’absence de propositions et de mesures concrètes dans leurs programmes est flagrante.
Partant du constat que la France est aujourd’hui le pays développé qui s’est le plus désindustrialisé depuis vingt ans, Christian Saint- Etienne remonte le fil du temps pour mieux montrer l’urgence de faire de ce dossier une des priorités du prochain quinquennat. Réflexion et propositions sans parti-pris mais factuellement incontestables.
Que faire pour revenir dans la course ? De l’iconomie entrepreneuriale conceptualisée par l’auteur de cette note, aux questions fiscales, en passant par la transition énergétique et l’éducation de la jeunesse… un nouveau régime industriel s’impose, fondé sur sept piliers solides.
Résumé exécutif
La réindustrialisation du pays doit être conduite dans l’iconomie entrepreneuriale. Elle s’appuie sur sept pilier :
- Créer un grand ministère de l’Industrie, de l’Energie, de l’Innovation et de la Formation professionnelle.
- La puissance électrique du pays doit être portée à 600 TWh en 2035 et 1000 TWh en 2050 par un développement massif des énergies renouvelables, du nucléaire et, pour une période intermédiaire, des centrales au gaz autorisées par la taxonomie européenne.
- Si la suppression de la C3S et de la CVAE intervenait à l’automne 2022 pour application en 2023, avec les mesures TPFB et CFE, les impôts de production passeraient de 4,4% du PIB en 2020 à 3,4% du PIB en 2023, en incluant les effets des baisses mises en œuvre en 2021. Il faudra poursuivre cette baisse en 2023-2024 au rythme de 0,2 point de PIB par an pour ramener les impôts de production à 3% du PIB au début 2025.
- Afin d’accélérer la réindustrialisation, il faut attirer les investissements internationaux tout en favorisant l’essor des ETI et des grosses PME par une baisse de l’impôt sur les sociétés prenant en compte les accords fiscaux internationaux conclus en 2021-2022. Le taux d’IS doit passer dès 2023 à 15% jusqu’à 100 000 euros de résultat des entreprises, 18% de 100 000 euros à 100 millions d’euros de résultat et 21% au-delà.
- Pour réindustrialiser, il faut pouvoir accueillir les usines robotisées, numérisées et électrifiées qui sont au cœur de la transformation de notre système productif. Il faut mettre en place une Agence publique mettant en œuvre, avec les régions et les intercommunalités, la politique de réindustrialisation par une politique foncière stratégique permettant de créerrapidement un millier de zones industrielles électrifiées de 300 à 500 hectares bénéficiant de toutes les autorisations techniques et environnementales préalables.
- Pour développer plus spécifiquement, notre industrie pharmaceutique et des biotechs, il faut supprimer les taxes sectorielles sur les industries du médicament qui se sont élevées à 19% du chiffre d’affaires taxable de l’industrie pharmaceutique en 2020 et qui ont contribué à l’effondrement de notre position compétitive dans ce secteur de la 1ère place, de 1995 à 2008, à la 4ème place en Europe aujourd’hui.
- La politique financière doit favoriser le développement de l’épargne longue, de l’actionnariat salarié et des fonds de pension par un abattement de 10% sur les plus-values par année de détention au-delà de deux ans, soit une imposition nulle au-delà de 12 ans de détention, hors CSG.
Pourquoi et comment réindustrialiser ?
La désindustrialisation massive de la France est notre principale faiblesse géostratégique. Il faut la mesurer et comprendre l’importance de l’industrie avant de proposer des solutions pour en
sortir.
La désindustrialisation massive de la France
La France est le pays développé qui s’est le plus désindustrialisé depuis vingt ans. La part de l’industrie manufacturière dans le PIB a baissé de 14% à 10% de 2000 à 2019, niveau à peine maintenu en 2021. A cette dernière date, cette part était de 20% en Allemagne (Source : Eurostat). En euros, la valeur ajoutée manufacturière de la France est tombée à 37% de la valeur ajoutée allemande.
La désindustrialisation relative de la France a continué en 2020 – 2021 et le déficit commercial est passé de 58 milliards d’euros en 2019 à 85 milliards d’euros en 2021. Le solde des échanges de biens et services (comptes nationaux) est passé d’un déficit de 23 milliards d’euros en 2019 à des déficits de 46,5 milliards d’euros en 2020 et 50,6 milliards d’euros en 2021, soit de 1% du PIB en 2019 à 2% du PIB en 2021.
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Source : Rexecode, Compétitivité française, février 2022.
En lien avec la chute de notre industrie manufacturière, notre part dans les exportations mondiales de biens et services a chuté de 48% de 2000 à 2021 (Source : OCDE). Une partie de cette chute s’explique par les transferts massifs de production opérés des pays industriels vers les pays émergents par les entreprises globalisées depuis les années 1990 et par des effets de change. Pour corriger ces deux effets, on peut analyser la baisse de la part de la France dans les exportations de la zone euro de 2002 à 2021, tous les pays membres de la zone ayant la même monnaie : elle a chuté de 26%, ce qui mesure exactement la perte du poids de l’industrie manufacturière française au sein de cette zone1.
En résumé, la part de l’industrie manufacturière française a baissé de 26% dans les exportations de la zone euro, de 30% dans le PIB de la France et notre part dans les exportations mondiales de biens et services a baissé de 48% au cours des vingt dernières années. C’est un effondrement historique, sans équivalent dans le monde développé en temps de paix depuis le début de l’industrie il y a deux siècles et demi.
La France, qui fut en pointe des révolutions industrielles des années 1780 aux années 1980, est devenue un nain industriel en deux décennies. Un tel effondrement a nécessairement des causes multiples. Comprenons d’abord ses effets. Pour rester souverain et puissant, un pays doit produire les principaux biens et services qu’il consomme dans les filières dites de souveraineté (défense, finance, agroalimentaire, santé, numérique et énergie) et équilibrer sa balance courante des échanges de biens et services avec le reste du monde afin de ne pas accumuler un endettement net le mettant à la merci de ses créanciers.
Le point clé est de ne pas confondre souveraineté et autarcie. Il ne s’agit pas de tout produire mais de maîtriser les filières de souveraineté et quelques filières d’excellence dans la production de biens échangeables permettant d’équilibrer les comptes extérieurs. Dans le contexte de la révolution de l’informatique et des plateformes numériques, il convient de favoriser l’essor d’acteurs industriels puissants dans l’informatique, l’intelligence artificielle et la robotique et investir dans l’industrie des microprocesseurs.
Rôle de l’industrie dans la transformation économique
Les économies des pays développés ont un secteur des services qui représente plus de 80% de leur PIB sauf en Allemagne où ce secteur se situe autour de 77%. On ne peut comprendre l’importance de l’industrie si l’on ignore ce que j’appelle le paradoxe des deux fois 80%. Alors que nos économies sont à 80% des économies de services, 80% des exportations mondiales de biens et services hors matières premières et énergie sont des exportations de produits manufacturés.
De plus, on croit pouvoir se passer de l’industrie grâce à la recherche et développement (R&D) pour rester à la pointe des transformations globales. Or l’industrie effectue plus de 85% de la R&D mondiale. Pour dire les choses avec la force nécessaire :
“ pas d’industrie = pas de R&D et pas d’exportations ”.
Il faut également comprendre qu’un pays qui rate une révolution industrielle entre en sous-développement relatif et s’appauvrit rapidement. C’est le sous-développement de l’industrie qui explique l’effondrement économique relatif de la France en Europe depuis l’an 2000.
La part de la valeur ajoutée industrielle de la France dans la valeur ajoutée industrielle de la zone euro est passée de 17,9% en 2000 à 13,9% en 2021 alors que celle de l’Allemagne passait de 36,2% à 39,5%. La part de la France par rapport à l’Allemagne a donc chuté de 49,5% en 2000 à 35,1% en 2021. De manière plus explicite, le poids relatif de l’industrie française par rapport à l’allemande est tombé de la moitié en 2000 à un peu plus du tiers en 2021. Compte tenu des investissements massifs en Allemagne dans la voiture électrique et les semi-conducteurs, le poids relatif de l’industrie française par rapport à l’industrie allemande va continuer de baisser en 2022- 2023.
En dépit du plan d’investissement de 30 milliards d’euros sur cinq ans, annoncé en octobre 2021 et intitulé France 2030, – tourné notamment vers les petits réacteurs nucléaires, l’hydrogène vert et la décarbonation, les biomédicaments et l’espace -, la désindustrialisation relative du pays va s’aggraver d’autant plus que ce nouveau plan ne corrige pas les défauts d’éparpillement des précédents Plans d’investissement d’avenir (PIA). Les PIA, initiés en 2010, n’ont permis ni de freiner la désindustrialisation du pays, ni même d’augmenter l’effort national de R&D qui stagne à 2,2% du PIB. Les autorités françaises n’ont pas compris la nature des transformations économiques dans le monde depuis les années 1990.
Le nouveau régime industriel
Explicitons la nature de la Nouvelle révolution industrielle qui s’appuie sur le « système informatique » et qui nous a fait entrer dans l’iconomie. Dans la suite, le « numérique » recouvre une partie des applications de l’informatique, notamment les systèmes directement ouverts aux utilisateurs par l’intermédiaire de plateformes numériques. L’iconomie recouvre l’ensemble des transformations et applications résultant de la révolution informatique.
L’iconomie entrepreuriale, – avec un ‘i’ comme intelligence, informatique,Internet,innovation,intégrationdesystèmes–,estlefruit de trois nouvelles formes d’innovation, de production, de distribution et de consommation. D’abord, l’économie de l’informatique, de l’Internet et des logiciels en réseau, qui s’appuie, depuis trois décennies, sur les progrès foudroyants de la microélectronique et de l’intégration des systèmes. C’est une mutation scientifique et technologique. Ensuite, l’économie entrepreneuriale de l’innovation qui est une mutation capitalistique et entrepreneuriale qui s’accélère depuis deux décennies. Enfin, l’économie servicielle des effets utiles qui n’est elle-même concevable qu’en faisant appel aux nouvelles technologies informatiques et de communication permettant de créer des assemblages de biens et services gérés en temps réel par de puissants logiciels en interaction avec le client. C’est une mutation organisationnelle et comportementale traduisant une mutation des usages qui privilégie le cognitif sur le physique et qui est globalement dominante depuis une décennie.
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Pour une analyse approfondie de la nature de la Troisième révolution industrielle, on peut se référer à deux livres que j’ai publiés aux Editions Odile Jacob : ‘L’Iconomie pour sortir de la crise’, septembre 2013, et ‘France 3.0’, janvier 2015, ainsi qu’au livre de Michel Volle : « Iconomie », Editions Economica (avec Xerfi), 2014.
Avec l’avènement de l’iconomie entrepreneurial,2nous passons du monde 2.0 de l’électricité et du moteur à explosion à un monde 3.0 de l’informatique et des plateformes numériques. Mais pour entrer dans ce monde 3.0, les entreprises comme les sociétés française et européenne doivent se réorganiser tout en accomplissant un énorme effort de compréhension et d’adaptation aux mutations en cours.
Cette iconomie entrepreneuriale est le moteur de la croissance de la productivité intensive et surtout le principal facteur d’explication des écarts de taux de croissance entre pays. Les pays qui ne sauront pas favoriser l’essor des NBIC cesseront d’être dans la course à la valeur ajoutée. Les NBIC recouvrent les quatre domaines dans lesquels le changement scientifique et technique est considéré comme le plus rapide et le plus important pour l’avenir de l’humanité. Le N concerne les nanotechnologies qui doivent permettre d’œuvrer, d’opérer ou de fabriquer au niveau de l’infiniment petit. Le B correspond aux biotechnologies au sens large, c’est-à-dire l’ensemble des savoirs et des savoir-faire sur le vivant (médecine et génétique incluses). Il s’agit là d’intervenir sur les gènes, les chromosomes ou les molécules constituant les cellules vivantes. Le I recouvre les technologies de l’information et de la communication (Internet et ses applications, dont l’Internet des objets, médias, Big data, métavers, etc.). Le C représente les technologies cognitives centrées sur le cerveau, l’intelligence artificielle et la robotique / cobotique. On pourra bientôt réussir des couplages entre des régions cérébrales et des circuits électroniques pour remédier à des déficiences qui nous terrifient aujourd’hui (des expériences de couplage ont déjà réussi).
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Les oligopoles se créent par la différenciation des produits.
Cette iconomie amplifie la globalisation des chaînes de valeur et favorise les rendements croissants contribuant à l’émergence d’oligopoles3 qu’il est essentiel de réguler si l’on veut maintenir des marchés ouverts. Le passage d’une économie de masse à une économie du ciblage des besoins du consommateur final donne un pouvoir considérable aux entreprises qui maîtrisent la relation finale et rend la contestation des oligopoles par de nouveaux entrants très difficile. Le droit de la concurrence et l’ouverture des marchés, dans une vision dynamique, prennent une place centrale dans la régulation de cette iconomie.
L’iconomie entrepreneuriale est le fruit d’une mutation technique hyper industrielle, hyper entrepreneuriale et hyper mobile qui nécessite d’être largement financée par des fonds propres compte tenu des risques encourus. L’industrie change de nature. Compte tenu de la grappe d’innovations dominante dans ce troisième système technique, l’industrie est redéfinie comme toute activité à base de processus normés et informatisés. Ainsi, la banque, l’ingénierie ou la logistique font partie de l’industrie dans la Nouvelle révolution industrielle. Toutes les catégories statistiques vont devoir évoluer rapidement pour prendre en compte cette mutation.
La French Tech est plus qu’utile mais elle ne répond pas aux enjeux de la réindustrialisation
La French Tech a enfin décollé en 2021, avec des financements des start-ups qui ont dépassé 11 milliards d’euros en 2021, soit le double de 2020 et le triple des fonds levés au cours des cinq dernières années. Les dix premières opérations ont permis de lever plus de 3 milliards d’euros en 2021. Cet effort a permis de créer 26 licornes, les start-ups valorisées plus de 1 milliard de dollars, dont une seule industrielle.
L’essentiel de nos start-ups développent des solutions de services et d’usages par abonnement, par innovation incrémentale. Mais on note très peu d’innovations de rupture dans les biotechnologies, l’énergie, l’environnement ou les agritechs et encore moins dans l’industrie.
La French Tech développe intelligemment les potentialités des innovations majeures comme l’intelligence artificielle ou la blockchain mais elle occupe un rôle de second plan dans la Tech mondiale en produisant peu d’innovations de rupture.
La French Tech représente au début de 2022 environ 1% des emplois et moins d’un millième des exportations. Si elle est cruciale en termes de développement économique et numérique, elle ne constitue pas la solution centrale à court terme permettant de réindustrialiser le pays sauf à l’inscrire dans un effort de réindustrialisation iconomique au cours des prochaines années.
Les ETI sont-elles la solution ?
Les Entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont entre 250 et 5000 salariés et un chiffre d’affaires compris entre 50 millions d’euros et 1,5 milliard d’euros. Il est crucial de noter que les pays qui ont gardé une industrie exportatrice puissante ont beaucoup plus d’ETI que les pays désindustrialisés comme la France.
L’Allemagne compte 12 500 ETI, l’Italie 8 000 et la France 5 400 dont 70% sont indépendantes au sens où elles ne sont pas des filiales de grands groupes. Le poids de l’industrie manufacturière en pourcentage du PIB est de 20% en Allemagne, 15,5% en Italie et 10% en France.
Le Royaume-Uni est un contre-exemple dans la mesure où le pays compte 10 500 ETI alors que le poids de l’industrie manufacturière atteint 9% du PIB. Mais le Royaume-Uni compte un secteur énergétique et un secteur financier plus développés qu’en France qui fournissent un grand nombre d’ETI.
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L’industrie automobile illustre cette évolution dans la mesure où la part de la production des deux grands constructeurs français réalisée à l’étranger est passée du tiers en 1999 aux deux tiers de leur production mondiale en 2021. En 2007, avant la double crise financière de 2008-2012 et du Covid en 2020-2021, alors que les décisions de délocalisation sont mises en œuvre et vont s’accélérer, le surcoût de fabrication d’une voiture en France était de l’ordre de 8% à 10% par rapport au coût de production dans les pays ayant bénéficié des délocalisations, soit l’équivalent ou davantage que le taux de marge.
Les ETI sont beaucoup plus industrielles que l’ensemble de l’économie puisque 36% de l’emploi dans les ETI est industriel. Surtout, les grands groupes industriels français (plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) ont adopté dans les années 1980- 1990 un modèle de délocalisation de leur activité manufacturière qui s’est accentué dans les années 2000 sous le triple effet de la retraite à 60 ans en 1982, de la semaine de travail de 35 heures qui s’applique depuis 2000 et de la très forte augmentation des impôts de production à partir des années 1980-19904.
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Voir Patrick Artus, Flash Economie, 2 mars 2022.
Pour expliquer la surreprésentation des ETI dans l’emploi industriel, on peut évoquer un taux d’actualisation plus faible, et donc une moindre préférence pour le présent, que celui des grands groupes cotés et un attachement au territoire plus fort que celui des grands groupes5.
Les ETI créent davantage d’emplois que les grands groupes. Ces derniers sont nécessaires à la consolidation des filières mais sont tendanciellement destructeurs nets d’emplois. De plus, dans leur développement international, les ETI privilégient l’exportation alors que les grands groupes français développent davantage leurs filiales situées à l’étranger.Les ETI créent davantage d’emplois que les grands groupes. Ces derniers sont nécessaires à la consolidation des filières mais sont tendanciellement destructeurs nets d’emplois. De plus, dans leur développement international, les ETI privilégient l’exportation alors que les grands groupes français développent davantage leurs filiales situées à l’étranger.
L’essor des ETI, et notamment des ETI industrielles, est donc excellent pour l’emploi et les exportations. Il doit être favorisé comme élément central de la réindustrialisation.
Les impôts de production
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L’essentiel de la hausse intervient de 1975 à 1995 avec une multiplication par 7 en pourcentage de la valeur ajoutée brute.
Les impôts de production ont fortement augmenté depuis les années 19706 en France pour atteindre 4,4% du PIB en 2020 contre 0,7% du PIB en Allemagne selon une nouvelle estimation ‘Institut Montaigne / Mazars’ publié en février 2022. Les impôts de production atteignaient la même année 2,5% du PIB en Italie,1,1% du PIB au Royaume-Uni et 2,1% du PIB en Espagne.
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C3S : Contribution sociale de solidarité des sociétés mise en place par la loi de Finances pour 1992 dont le Conseil d’analyse économique, a considéré dans une note de juin 2019, que « la nocivité n’a pas d’égal dans le système fiscal français ». Son taux est de 0,16% du Chiffre d’affaires.
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CVAE : Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises crée par la loi de Finances pour 2010.
Afin de revenir progressivement dans la moyenne européenne, il est urgent de supprimer la C3S7 qui taxe le chiffre d’affaires réalisé en France, et la CVAE8 qui, en taxant la valeur ajoutée, pénalise l’investissement et l’indispensable montée en gamme de notre économie.
Les recettes de ces deux impôts pour les Finances publiques sont de l’ordre de 11,5 à 12 milliards d’euros pour 2022, compte tenu de la baisse du taux d’imposition de la CVAE intervenue en 2021 (taux ramené de 1,5% à 0,75% mais avec une hausse de la Taxe additionnelle à la CVAE, assise sur la CVAE et au bénéfice des Chambres de commerce et d’industrie, de 1,73% à 3,46%) et de la baisse de 50% de la valeur des locaux industriels servant de base à la taxe foncière et à la CFE. Le taux de plafonnement de la Contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée a été ramené de 3% à 2% en 2021. La CET est constitué de la CFE (cotisation foncière des entreprises) et de la CVAE.
On pourra ajouter la suppression de la Taxe foncière sur les propriétés bâties (TPFB) et de la CFE pour les établissements industriels, soit une perte de recettes publiques supplémentaire de 3,2 milliards d’euros. Au total, les recettes d’impôts de production baisseraient d’environ 15 milliards d’euros. Mais la hausse de l’activité, des investissements et de l’emploi conduirait à une hausse des autres recettes publiques (cotisations sociales et impôts sur les sociétés et les revenus) de 3 à 4 milliards d’euros au bout de deux ans, en sorte que le coût net de ces mesures pour les finances publiques est inférieur à 12 milliards d’euros.
Si la suppression de la C3S et de la CVAE intervenait à l’automne 2022 pour application en 2023, avec les mesures TPFB et CFE, les impôts de production passeraient de 4,4% du PIB en 2020 à 3,4% du PIB en 2023 (en prenant en compte la baisse de 10 milliards d’euros intervenue en 2021).
Que faire pour revenir dans la course ?
Il convient à présent de réindustrialiser, dans l’iconomie entrepreneuriale, en créant un choc de fonds propres et d’innovation dans l’économie marchande et en relevant les niveaux d’éducation et de formation de nos travailleurs ! La réindustrialisation vise à attirer les centres de production et d’innovation industrielles sur notre territoire, indépendamment de la nationalité de l’entreprise, ce qui suppose une politique appropriée d’éducation et de formation permanente, une fiscalité compétitive et la flexibilité la plus forte possible de l’emploi sous contrainte du développement de l’employabilité des travailleurs de l’industrie et des services à l’industrie. La politique de réindustrialisation au sens large, industrie et services à l’industrie, doit être fécondée par une épargne longue – fonds d’investissement et fonds de pension -, qui permette la multiplication des ETI et un développement rapide des start-ups afin de multiplier les licornes présentes sur le territoire. L’Etat peut encourager le développement de quelques filières par des appels d’offre ouverts selon le modèle de la Darpa américaine.
Une stratégie volontariste visant à organiser une montée en puissance rapide de nos industries robotique, informatique et d’édition de logiciels et à favoriser le rééquipement de notre système productif en robots industriels modernes et en imprimantes 3D, doit être mise en place afin d’améliorer simultanément notre compétitivité coût et notre capacité d’innovation de produit. Un effort particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle s’impose. Les sommes nécessaires pour accélérer la modernisation et le redéploiement de notre économie dans cette direction sont relativement réduites, de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros par an pour une initiative robotique, logicielle et d’intelligence artificielle avec un volet d’impression 3D, par rapport aux créations massives d’emplois qualifiés qu’on peut en attendre.
Une réforme des retraites portant l’âge de départ à 64 ans et la durée de cotisation à 44 ans, avec plein effet au bout de 6 ans, économiserait 27 milliards d’euros par rapport à la tendance, chaque année (après une montée en puissance sur six ans au rythme d’un recul de quatre mois par an). Une telle réforme permet de réduire la dépense publique tout en finançant la réindustrialisation. La réindustrialisation, au sens défini ici, suppose ainsi une stratégie économique et sociale d’ensemble pour réussir.
L’iconomie entrepreneuriale est une économie globalisée dans laquelle il faut combiner compétitivité prix et compétitivité innovation de produit. Or la robotisation de la production améliore ces deux formes de compétitivité. Les robots industriels contribuent à une forte hausse de la productivité globale des facteurs de production, à une baisse des taux de déchet, à une plus grande flexibilité de la production par séries de tailles variables facilement programmables et à une constance de la qualité de la production. Ils améliorent les conditions de travail en supprimant les tâches répétitives ou les manipulations de pièces lourdes. Ils facilitent le développement et la diversification des assemblages de biens et services qui caractérisent la troisième révolution industrielle. Il y a une corrélation significative entre l’augmentation annuelle moyenne de la productivité par tête dans le secteur manufacturier et l’augmentation annuelle moyenne du nombre de robots par 10 000 employés dans le secteur manufacturier.
La robotisation ne concerne pas seulement les industries lourdes. Elle permet également des gains de productivité importants dans l’emballage et la logistique. L’industrie agroalimentaire allemande qui est passée devant l’industrie agroalimentaire française en termes de production est beaucoup plus robotisée que cette dernière.
Quelle politique énergétique pour réindustrialiser ?
En France, les questions de réindustrialisation et de politique énergétique sont soigneusement séparées depuis quinze ans, alors qu’elles sont intimement liées. Il n’y aura pas de retour de l’industrie sans une très forte augmentation de la production électrique alimentant la robotisation et la numérisation de notre secteur productif. Il faut également un suramortissement fiscal massif des investissements en machines et outillages.
La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de la période 2019-2028, adoptée en avril 2020, détermine notre politique énergétique qui vise à réduire massivement la consommation d’énergie. Le président de la République a indiqué un nouvel objectif de baisse de 40% à l’horizon 2050, au lieu des 50% fixés par la loi en 2015, dans son discours du 10 février 2022. Mais même avec une baisse de 40% de la consommation totale d’énergie, l’objectif de réindustrialisation, avec électrification souhaitable de l’économie, reste inatteignable. Sans énergie électrique bon marché et abondante, alors que les impôts de production atteignent 4,4% du PIB en France contre 0,7% du PIB en Allemagne et en Suisse9, il n’y aura pas de miracle.
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Selon l’étude Montaigne – Mazars de février 2022 portant sur l’année 2020.
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La consommation finale à usage d’énergie, toutes énergies confondues, doit passer de 1 600 ‘ TWh équivalents ’ en 2021 à moins de 900 TWh en 2050 dans la PPE et 1 000 TWh dans la nouvelle version présidentielle. Cette politique suppose une augmentation significative du prix relatif de l’énergie dans la durée qu’il faut expliquer tout en aidant les 2 millions de ménages pauvres.
La demande électrique retenue officiellement pour 2050 est de 645 TWh, soit une hausse de 35% par rapport à la consommation actuelle, sachant que la consommation d’énergie fossile doit disparaître. L’Académie des technologies a fixé un objectif souhaitable de 840 TWh. Mais si l’on veut réindustrialiser le pays en respectant les objectifs fixés par le GIEC, il faut une production électrique de 1 000 TWh en 2050, ce qui ne peut être atteint même en relançant le nucléaire par une commande 6 + 8 EPR2. Il faut donc, d’une part, relancer l’électricité hydraulique dont le potentiel est sous-estimé d’environ un quart à condition d’investir, et d’autre part renforcer le photovoltaïque par une politique d’innovation déterminée, avec production locale, et une multiplication de 10 à 100 GW de la capacité de production, comme le prône E. Macron, voire 150 GW à l’horizon 2050.
Dans ce contexte, comment amplifier le renouveau du pays ? S’il faut effectivement verdir et électrifier la croissance, cette dernière doit être forte pour donner le pouvoir d’achat réclamé par la population tout en réindustrialisant le pays afin de faire disparaître le déficit commercial extérieur. Il faut mener une politique déterminée d’isolation des logements au rythme d’un demi-million par an, ce que n’ont jamais tenté de faire les ministres écologistes lorsqu’ils étaient ou sont au pouvoir.
Le verdissement de la croissance passe donc par une hausse régulière du prix de l’énergie pour optimiser sa consommation, sous l’effet d’une taxe carbone mise en œuvre dans l’ensemble de l’Union européenne, voire dans le cadre d’un partenariat transatlantique incluant d’un côté, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, et de l’autre, l’Union européenne, la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni.
Comment réindustrialiser ?
La réindustrialisation du pays doit être conduite dans l’iconomie entrepreneuriale. Elle s’appuie sur sept piliers :
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Darpa : Defense Advanced Research Projects Agency.
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Barda : Biomedical Advanced Research and Development Authority.
- Créer un grand ministère de l’Industrie, de l’Energie, de l’Innovation et de la Formation professionnelle. En lien avec ce ministère, il faut mettre en place deux Agences de l’innovation, une pour la Défense sur le modèle de la Darpa10 et une pour la santé sur le modèle de la Barda11. En effet, on ne peut plus séparer les questions industrielles et énergétiques de l’innovation de produits et services industriels dans un contexte où l’industrie désigne toutes les activités informatisées et robotisées de l’iconomie entrepreneuriale. De plus, en lien avec le rebond de l’apprentissage, les lycées techniques et la formation professionnelle doivent être des filières d’excellence financées par le ministère de l’Industrie.
- La puissance électrique du pays doit être portée à 600 TWh en 2035 et 1000 TWh en 2050 par un développement massif des énergies renouvelables, du nucléaire et, pour une période intermédiaire, des centrales au gaz autorisées par la taxonomie européenne.
- Si la suppression de la C3S et de la CVAE intervenait à l’automne 2022 pour application en 2023, avec les mesures TPFB et CFE, les impôts de production passeraient de 4,4% du PIB en 2020 à 3,4% du PIB en 2023, en incluant les effets des baisses mises en œuvre en 2021. Il faudra poursuivre cette baisse en 2023-2024 au rythme de 0,2 points de PIB par an pour ramener les impôts de production à 3% du PIB au début 2025.
- Afin d’accélérer la réindustrialisation, il faut attirer les investissements internationaux tout en favorisant l’essor des ETI et des grosses PME par une baisse de l’impôt sur les sociétés prenant en compte les accords fiscaux internationaux conclus en 2022. Le taux d’IS doit passer dès 2023 à 15% jusqu’à 100 000 euros de résultat des entreprises, 18% de 100 000 euros à 100 millions d’euros de résultat et 21% au-delà.
- Pour réindustrialiser, il faut pouvoir accueillir les usines robotisées, numérisées et électrifiées qui sont au cœur de la transformation de notre système productif. Il faut mettre en place une Agence publique mettant en œuvre, avec les régions et les intercommunalités, la politique de réindustrialisation par une politique foncière stratégique permettant de créer rapidement un millier de zones industrielles électrifiées de 300 à 500 hectares bénéficiant de toutes les autorisations techniques et environnementales préalables afin que l’instruction des dossiers d’installation d’usines ne prenne pas plus d’une semaine, une fois que le sérieux du projet et de l’opérateur est vérifié.
- Pour développer plus spécifiquement notre industrie pharmaceutique et les biotechs, il faut supprimer les taxes sectorielles sur les industries du médicament qui se sont élevées à 19% du chiffre d’affaires taxable de l’industrie pharmaceutique en 2020 et qui ont contribué à l’effondrement de notre position compétitive dans ce secteur de la 1ère place, de 1995 à 2008, à la 4ème place en Europe aujourd’hui. Avec les effets que nous avons observé dans la lutte contre le Covid en termes de disponibilité d’équipements, de médicaments et de capacité d’innovation.
- La politique financière doit favoriser le développement de l’épargne longue, de l’actionnariat salarié et des fonds de pension par un abattement de 10% sur les plus-values par année de détention au-delà de deux ans, soit une imposition nulle au-delà de 12 ans de détention, hors CSG.
Conclusion
La désindustrialisation de notre pays n’est pas une question technique mais elle est éminemment politique ! Sans industrie et services à l’industrie puissants et compétitifs, nous ne pourrons pas redresser notre commerce extérieur, accélérer notre croissance et créer massivement des emplois.