A l’approche de l’anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie (24 février 2022), il est utile de revenir sur les conséquences économiques de la guerre et en particulier de sa dimension énergétique. Philippe Martin explique pourquoi nos entreprises se sont montrées plus résilientes qu’attendu.
La très forte augmentation des prix du gaz avait commencé dès l’automne 2021, en partie orchestrée par la Russie, et a aussi tiré les prix de l’électricité à la hausse. Alors qu’avant la crise le gaz se vendait autour de 20 euros du megawatt-heure, il va dépasser les 300 euros à l’été 2022 pour redescendre en dessous de 50 euros cette semaine.
Au printemps 2022, le débat sur les conséquences de cette crise, ainsi que d’un possible embargo sur les importations de gaz russe, fait rage. Quel impact sur la compétitivité, la production et l’emploi de l’industrie française et européenne ? Le chancelier allemand déclare : « Des centaines de milliers d’emplois seraient menacés… Des branches entières de l’industrie sont au bord du gouffre ». La décision d’embargo n’est pas prise par les européens, sous la pression de l’Allemagne ainsi que du lobby industriel européen. Mais la chute des importations de gaz naturel en provenance de Russie a tout de même été spectaculaire (une division par 4) et proche de ce qu’aurait été un embargo.
Une crise évitée malgré la multiplication des prix de l’énergie
La hausse des prix de l’énergie (gaz et électricité) pour les entreprises manufacturières européennes a également été très importante. En France, par exemple, l’INSEE rapporte qu’entre fin 2020 et novembre 2022, les prix du gaz et de l’électricité pour les entreprises manufacturières ont respectivement presque triplé et doublé. Certes, l’impact se diffuse progressivement sur les entreprises du fait de l’étalement des renégociations des contrats. Il n’en reste pas moins que la crise annoncée de l’industrie manufacturière n’a pas eu lieu.
En France, en 2022, la production a augmenté de 2,6 % et en Allemagne elle a stagné. Que s’est-il passé ? Certes, le choc a été négatif, mais l’industrie s’est adaptée beaucoup mieux et plus rapidement que ce qu’anticipaient les gouvernements, certains industriels et économistes. Le signal prix a fonctionné efficacement : les demandes de gaz par les industriels français et allemands ont chuté de 13% et 21% respectivement sur un an. Certains économistes considéraient qu’à court-terme l’adaptation, la substitution d’autres énergies et l’augmentation de l’efficacité énergétique seraient impossibles. En termes techniques, ils considéraient que l’élasticité prix était proche de zéro et qu’une diminution de la consommation de gaz de 13% aboutirait à une baisse de production de 13%. On l’a vu, ce fut loin d’être le cas.
L’impressionnante adaptabilité des entreprises
Le Conseil d’Analyse Économique, en avril 2022, était plus optimiste et notait (sur la base d’expériences historiques de chocs énergétiques et d’estimations micro-économiques) que même à court terme les entreprises étaient capables, du fait de la pression des prix, de minimiser l’impact négatif du choc énergétique.
L’histoire de cette crise n’est pas terminée et l’impact sur la compétitivité industrielle européenne, en particulier vis-à-vis des États-Unis qui bénéficient d’une énergie beaucoup moins chère et de subventions dans le cadre du plan IRA (Inflation Reduction Act), n’est pas encore écrit. La leçon de cette crise qui a été beaucoup moins forte qu’annoncée est cependant utile en particulier dans le cadre de la transition énergétique : face au signal prix, les entreprises industrielles s’adaptent mieux et plus rapidement qu’on ne pouvait le craindre. Il est donc plus utile d’aider (en subventionnant si besoin) à amplifier cette transition plutôt que de tenter d’éliminer le signal prix.