La Commission européenne est optimiste pour la croissance française cette année, mais pessimiste pour l’Allemagne. Selon Patrick Artus, les causes de cette différence de rythme doivent être analysées plus largement à l’aune de la situation actuelle entre la zone euro et les Etats-Unis.
Dans ses dernières prévisions de croissance, la Commission Européenne estime que le PIB progressera de 0,8% (en moyenne annuelle) dans la zone euro en 2023 et de 1,3% en 2024. La croissance de la France est prévue être supérieure à celle de la zone euro (1% en 2023, 1,2% en 2024), la croissance de l’Allemagne inférieure (-0,4% en 2023, 1,1% en 2024).
Si on regarde non pas les taux de croissance en moyenne annuelle (l’année 2023 comparée à l’année 2022) mais le taux de croissance cumulé sur les quatre trimestres de l’année, on parvient à une progression à peu près nulle pour l’ensemble de la zone euro en 2023, de 0,8% en France et de -0,6% en Allemagne.
L’Europe à la traîne
La comparaison avec les États-Unis montre la faiblesse de la croissance de la zone euro ; aux États-Unis, le PIB progresse à un rythme supérieur à 2% par an depuis le début de l’année, et ce rythme assez élevé de croissance sera maintenu au 3ème trimestre. Si on compare les taux de croissance pendant l’année 2023 (les glissements annuels du PIB en volume), on voit que la croissance des États-Unis cette année sera supérieure de 2 points au moins à la croissance de la zone euro. D’où vient cette faible croissance de la zone euro et d’où vient la croissance négative de l’Allemagne ?
La comparaison entre la zone euro et les États-Unis est instructive. La croissance de la zone euro est plus faible que celle des États-Unis pour essentiellement quatre raisons.
D’abord, les ménages de la zone euro continuent d’épargner plus qu’avant le Covid, alors que les ménages américains ont réduit leur taux d’épargne nettement en-dessous de celui de 2019. Cela a favorisé la consommation aux États-Unis et l’a pénalisée dans la zone euro, d’où un écart de croissance de l’ordre de 1 point en 2023 en défaveur de la zone euro.
Les investissements publics massifs dopent la croissance américaine
Deuxième cause de la croissance très faible de la zone euro, l’investissement des entreprises y recule, fortement au deuxième trimestre 2023, alors qu’il progresse rapidement aux États-Unis. On voit là la conséquence de l’efficacité des mesures de soutien de l’investissement aux États-Unis prises par l’Administration Biden, en particulier de l’Inflation Reduction Act, qui aide, par des baisses d’impôts, les entreprises qui investissent dans les énergies renouvelables, dans l’électronique… avec un contenu américain suffisant.
Troisième cause de l’écart de croissance entre les États-Unis et la zone euro, la politique budgétaire très expansionniste en 2023 aux États-Unis (avec 6,3% de déficit public en pourcentage du PIB), qui devient restrictive dans la zone euro avec une réduction du déficit public par rapport à 2022 d’un demi-point de PIB.
Enfin, la progression du pouvoir d’achat des salariés est redevenue positive aux États-Unis (si on calcule l’inflation hors loyers imputés aux propriétaires de logements) avec une hausse des salaires réels au deuxième trimestre de 1% sur un an, elle a simplement arrêté de baisser dans la zone euro au deuxième trimestre 2023.
Au total, ces quatre causes (évolution du taux d’épargne, de l’investissement des entreprises, des déficits publics, du pouvoir d’achat des salariés) expliquent que la croissance de la zone euro soit presque nulle pendant l’année 2023, alors que celle des États-Unis sera d’environ 2%.
Le modèle allemand ne fonctionne plus
L’Allemagne va avoir une croissance négative cette année et une croissance probablement faiblement positive l’année prochaine. Cela est dû à sa stratégie de croissance, qui a toujours été une stratégie mercantiliste, c’est-à-dire qui base la croissance sur les exportations, avec un secteur exportateur (l’industrie) de grande taille et une progression assez faible de la demande intérieure et des coûts salariaux.
Or, ce modèle mercantiliste, qui a été assez efficace jusqu’à la fin des années 2010, ne fonctionne plus aujourd’hui. Le commerce mondial de biens est en croissance négative, en particulier avec le recul des importations de la Chine ; les salaires augmentent de 6% en 2023 en Allemagne, les prix de l’énergie en Europe augmentent rapidement, tout cela dégradant la compétitivité de l’Allemagne.
De plus, avec le vieillissement démographique et le taux d’épargne des ménages très élevé, l’Allemagne ne peut pas baser sa croissance sur celle de la demande intérieure. Si les exportations et la demande intérieure sont durablement affaiblies, la croissance de l’économie allemande va être durablement lente.
Au total, on comprend bien pourquoi la zone euro a une croissance très faible (taux d’épargne élevé, investissement faible des entreprises, politique budgétaire assez restrictive, recul du pouvoir d’achat des salariés) et pourquoi, en particulier, l’Allemagne aura durablement une croissance très faible (inadaptation du modèle mercantiliste de croissance).