L’Insee l’a annoncé jeudi 31 octobre : l’inflation en France a ralenti en octobre pour atteindre 0,7% sur un an. Ce niveau est bien loin des plus ou moins 2% requis par la Banque centrale européenne. Patrick Artus explique pourquoi l’actuelle politique monétaire en Europe pousse à revoir cet objectif.
On peut s’interroger sur l’objectif d’inflation de la BCE (2%) de deux manières.
Faut-il le modifier ? On a suggéré à la fois de l’accroître (4% ?) pour pouvoir réduire davantage les taux d’intérêt nominaux en cas de récession et de le réduire (1% ?) parce que l’inflation d’équilibre est devenue plus faible dans les économies contemporaines. Mais le problème est que l’inflation n’est plus contrôlable par la politique monétaire.
Si l’inflation n’est plus contrôlable par la politique monétaire, il faut alors abandonner l’objectif d’inflation. D’autres objectifs sont envisageables et raisonnables : la croissance nominale, ou, avec un retour vers les origines des Banques centrales, simplement la stabilité financière.
Perte de « pricing power » pour les entreprises européennes
La BCE ne parvient pas à redresser l’inflation. Malgré tous ses efforts (taux d’intérêt très bas, expansion monétaire) la BCE ne parvient pas à rapprocher l’inflation de l’objectif de 2%. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) oscille entre 1 et 1,2% depuis 2013.
On peut accepter l’idée qu’il n’y a plus contrôlabilité de l’inflation par la politique monétaire dans la zone euro, ce qui peut être expliqué d’une part par l’affaiblissement des effets de courbe de Phillips (la baisse du chômage a moins d’effets que dans le passé sur la croissance du coût salarial unitaire) ; d’autre part par la perte du « pricing power » par les entreprises de la zone euro, qui ne peuvent plus passer leurs hausses de coûts dans leurs prix, sans doute en raison de l’intensité de la concurrence. Le taux de chômage de la zone euro est revenu au niveau de 2007, mais le coût salarial unitaire progresse de 2% par an au lieu de 6% au pic de 2008 ; et cette hausse de 2% du coût salarial ne conduit qu’à une inflation de 1%. On a alors souvent suggéré que la BCE revoie son objectif d’inflation, mais faut-il qu’elle le modifie, qu’elle l’abandonne ?
La solution : abandonner l’objectif d’inflation
La BCE doit-elle modifier son objectif d’inflation ? On a vu proposer que la BCE accroisse son objectif d’inflation, de 2% à 4% par exemple. L’idée est que si l’inflation était plus élevée en fin de période d’expansion, les taux d’intérêt seraient aussi plus élevés, et qu’il serait possible de baisser davantage les taux d’intérêt nominaux en cas de récession, avant de buter sur la contrainte de positivité des taux d’intérêt nominaux. Mais la BCE ne parvient pas, aujourd’hui, à remonter son inflation de 1% à 2% : elle parviendrait encore moins à le remonter de 1% à 4% !
On a proposé, à l’inverse, que la BCE baisse son objectif d’inflation, de 2% à 1% par exemple. L’idée est que, dans les économies contemporaines l’inflation d’équilibre est plus basse, avec la concurrence des pays émergents, le e-commerce, les dérèglementations des marchés du travail. Ceci est juste, mais passer de l’objectif d’inflation de 2 à 1% serait simplement reconnaître que la BCE n’a plus d’influence sur l’inflation, ce qui ne règle pas le problème de l’objectif de la politique monétaire.
La solution est donc que la BCE abandonne l’objectif d’inflation. Nous l’avons vu, l’inflation n’est plus contrôlable par la politique monétaire dans la zone euro. Modifier (vers le haut ou vers le bas) l’objectif d’inflation ne règle pas le problème de perte de contrôlabilité. Si l’inflation de la zone euro n’est plus contrôlable par la BCE, il faut qu’elle change d’objectif de politique monétaire, qu’elle abandonne l’objectif d’inflation. Une première possibilité est de passer à un objectif de croissance nominale (décroissance du PIB en valeur, qui est de 2,7% aujourd’hui).
Les avantages de ce choix seraient nombreux : pouvoir monter les taux d’intérêt quand la croissance en volume se redresse, même quand il n’y a pas d’inflation ; influencer ce qui compte (pour déterminer l’évolution de l’endettement, les prix des actifs) c’est à dire l’écart entre les taux d’intérêt et la croissance du revenu (du PIB en valeur).
Une seconde possibilité est que les banques centrales reviennent à leur objectif historique, qui est d’assurer la stabilité financière (éviter la croissance excessive du crédit, des prix des actifs). On peut sans doute aujourd’hui, dans la zone euro, commencer à s’inquiéter de la croissance des prix de l’immobilier, déjà 10% plus élevés qu’avant la crise de 2008, et en hausse de 4 à 5% par an.