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La France, une « nation qui risque d’échouer » ?

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Sébastien Lecornu vient de constituer un gouvernement, ensemble de personnalités politiques, d’hommes et de femmes issus de la société civile. Comment réagiront les parlementaires, dont nombre d’entre eux sont attachés avant tout à maximiser leurs chances de réélection et conduits par des chefs obsédés par l’élection présidentielle, indifférents quant au chiffrage des conséquences de leurs non- décisions et prompts à prôner de mauvaises décisions si celles-ci les aident à espérer conserver leur place ?

La fuite en avant vers les dépenses

La voie est étroite : la seule convergence possible semble résider dans un accroissement des dépenses, qui prend la forme d’une suspension ou d’une abrogation de la réforme des retraites, dont les modalités concrètes ne sont guère aisées à définir car la réforme est entrée en vigueur en 2023 – avec une augmentation progressive de ses curseurs d’âge et de nombre d’années de cotisation. Et quel message envoie-t-on quand la réforme des retraites envahit le débat politique alors même qu’on ne cesse d’évoquer le mal-être de la jeunesse qui ne se voit plus d’avenir, le recul de la France dans les tests Pisa, ou encore le départ des diplômés vers d’autres pays ?

Daron Acemoglu et James A. Robinson, tous deux lauréats du prix Nobel d’économie en 2024, dans leur livre au titre évocateur Pourquoi les nations échouent, démontrent que la somme des talents individuels ne suffit pas à la croissance et au progrès ; il faut des institutions pertinentes et en bon état de fonctionnement, conditions nécessaires à l’expression de ces talents dans des innovations et des créations.

Une triple négligence

Or, l’attitude inconséquente de nos élus est d’autant plus possible qu’elle se déploie à l’abri de la loi spéciale, qui permet d’éviter la mise à l’arrêt du pays en l’absence de vote du budget. L’Etat, les organismes publics et les collectivités locales peuvent continuer à percevoir les impôts existants et des ressources publiques pour leurs dépenses essentielles. Un rapport de l’Assemblée nationale évalue l’effet du gel du barème de l’impôt sur le revenu et de la CSG, de la masse salariale des fonctionnaires et d’une partie des pensions de retraite, à l’équivalent d’un surcroît de recettes de 5,3 milliards (respectivement 1,7 milliard, 300 millions et 3,3 milliards d’euros). Est-ce là une politique pour la France ? A-t-on pris en compte son coût pour la croissance et donc in fine sur le budget, et plus encore l’enfoncement dans les fractures françaises, les citoyens ne comprenant guère ces calculs qu’ils voient comme parisiens, autocentrés et ravageurs pour la vie des territoires et des entreprises ?

Il y a là une triple négligence. Négligence éthique, quand on habille du costume de la respectabilité de simples calculs politiques. Négligence intellectuelle, quand on refuse de prendre en compte les contraintes économiques. Négligence démocratique, quand la confiance dans nos institutions continue de s’éroder, à l’abri confortable d’une loi spéciale qui ne ferait que retarder des décisions douloureuses. Nos institutions sont en danger, et c’est la porte ouverte à l’entrée dans le concert des « nations qui échouent ». Reste à espérer un sursaut salvateur.

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