Beaucoup est écrit aujourd’hui sur les caractéristiques agréables que devrait avoir le « Monde d’après » la crise du coronavirus.
Ont été annoncés la revalorisation des rémunérations pour les professions qui ont montré leur caractère indispensable pendant la crise, dans la santé, le transport, la distribution, la sécurité, l’agro-alimentaire… ; la relocalisation d’industries stratégiques aujourd’hui délocalisées dans les pays émergents : médicament et matériel médical, équipements pour les télécoms, les énergies renouvelables… ; un souci accru du long terme, en particulier du climat et de l’environnement, avec l’association faite entre dérèglement climatique et crise sanitaire ; des dépenses publiques accrues dans les secteurs essentiels : santé, éducation, sécurité ; et globalement le passage à un modèle économique moins productiviste, avec des circuits courts et de l’économie circulaire, moins de pressions sur les salariés, des chaînes de valeur régionales et non plus mondiales, de l’agriculture biologique, la maîtrise des productions stratégiques…
Bien sûr, certaines inquiétudes apparaissent : les Etats auront-ils les moyens, après la crise, de dépenser davantage dans la santé, l’éducation, les relocalisations ? Le pouvoir d’achat ne sera-t-il pas affecté par les relocalisations ? Mais la question la plus sérieuse est celle de la réaction des entreprises à la crise et de sa compatibilité ou non avec les caractéristiques de ce « Monde d’après ».
Après la crise du coronavirus, les entreprises seront en grande difficulté : elles se seront fortement endettées pour compenser une partie du recul de leurs ventes ; leurs profits auront nettement reculé ; dans beaucoup de secteurs d’activité (automobiles, transport aérien, tourisme, aéronautique, distribution traditionnelle…), les chiffres d’affaires vont rester durablement faibles.
Il faut certainement craindre que ces difficultés des entreprises les conduisent à des comportements tout à fait incompatibles avec le « Monde d’après » idéal décrit plus haut. Les directions des entreprises voudront rétablir la situation des bilans, et en particulier réduire l’endettement ; voudront redresser la rentabilité du capital pour les actionnaires, avec des objectifs de rendement des fonds propres qui n’auront pas varié. Il faut alors s’attendre, après la fin de la crise sanitaire, à diverses décisions assez dures de ces entreprises.
D’abord, des réductions d’effectifs, même s’ils ont été maintenus pendant la crise, donc une poursuite de la hausse du chômage après la fin de la crise ; l’austérité salariale, alors qu’une demande collective pour des salaires plus élevés, surtout en bas de l’échelle apparaît ; des délocalisations dans les pays émergents à coûts salariaux faibles, alors que l’inverse est espéré ; la demande de report des normes climatiques et environnementales, alors que l’opinion demande leur application stricte ; la demande de baisses d’impôts sur les entreprises, alors que les Etats voudront accroître les dépenses publiques, des pressions enfin sur les salariés pour accroître la productivité et le temps de travail, surtout si de nouvelles normes sanitaires viennent au contraire réduire la productivité.
Le désir de rétablissement de bilans sains et le maintien d’une exigence élevée de rentabilité du capital peuvent donc déclencher de multiples conflits entre les entreprises d’une part, les gouvernements et les opinions d’autre part.
Ces conflits porteraient sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail, les délocalisations ou relocalisations, le climat et l’environnement, la fiscalité. Le « Monde d’après » ne serait plus un Monde de consensus mais un Monde fortement conflictuel.