On pensait que le monde allait connaître une reprise économique durable après les crises. Au contraire, on assiste aujourd’hui à un ralentissement de la croissance mondiale. Celle-ci ne devrait être que de 2,7 % en 2015, bien inférieure à la croissance normale du monde, qui est de l’ordre de 3,7 %. Et encore, ce chiffre de 2,7 % est calculé avec la croissance « officielle » de la Chine, c’est-à-dire 7 %, alors que la croissance réelle de la Chine n’est probablement que de 3 % environ, ce qui veut dire que la croissance mondiale n’est en réalité que de 2 %.
La faiblesse de la croissance mondiale touche presque tous les pays : les Etats-Unis et la zone euro avec une croissance modeste ; le Japon, où la croissance disparaît dès qu’il n’y a pas de nouvelle dépréciation du yen ou un nouveau plan de relance ; la Chine, où on s’approche d’une stagnation de l’économie ; les pays émergents, avec des récessions au Brésil, en Russie, des croissances affaiblies en Afrique du Sud, en Turquie, en Corée…
D’où vient ce retournement vers une croissance faible globale de l’économie mondiale ? Quels sont les problèmes auxquels elle est confrontée ?
La première explication vient de la fin des dopages artificiels de la croissance. Depuis le milieu des années 1990 aux Etats-Unis et en Europe, surtout depuis 2008 en Chine, l’endettement des ménages et des entreprises a été utilisé pour stimuler la demande. Cela n’est plus possible aujourd’hui ; depuis la crise de 2008-2009, le secteur privé se désendette aux Etats-Unis et en Europe ; le taux d’endettement de la Chine, quand on ajoute l’Etat central, les collectivités locales, les ménages et les entreprises dépasse 220 % du PIB et ne peut plus s’accroître sans danger.
De même, les politiques budgétaires expansionnistes, fortement utilisées de 2008 à 2010, ont été remplacées, aux Etats-Unis et en Europe, par des politiques de consolidation budgétaire.
Les politiques monétaires non conventionnelles (création monétaire massive) ont d’abord, de 2010 à 2013, soutenu la croissance en poussant à la hausse les cours boursiers et les prix de l’immobilier, aux Etats-Unis, au Japon, au Royaume-Uni. Mais l’efficacité de ces politiques est transitoire car les investisseurs sont devenus plus prudents et acceptent difficilement des prix des actifs anormalement élevés, comme on le voit clairement avec la stagnation des Bourses. La Chine est obligée de mobiliser les investisseurs publics pour tenir le marché des actions et éviter son effondrement.
Enfin, les politiques de dévaluation des taux de change (la « guerre des monnaies ») menées au Japon, dans la zone euro, dans les pays émergents et peut-être maintenant en Chine génèrent un jeu à somme nulle : la croissance que gagne le pays qui déprécie sa monnaie est perdue par les autres pays.
La seconde explication est la fin du rôle de la Chine et des pays émergents comme moteurs de l’économie mondiale. La chute de la croissance dans les pays émergents est due à des causes diverses. En Chine, au Brésil, elle provient de la dégradation de la compétitivité coût.
Dans beaucoup de grands pays émergents (Brésil, Turquie, Inde, Afrique), la croissance est bloquée par de multiples goulets d’étranglement : sur le marché du travail (insuffisance des ressources en travail qualifié), en ce qui concerne la production d’électricité, les infrastructures de transport. Les pays exportateurs de matières premières souffrent du recul des prix qui vient de la faiblesse de la croissance mondiale.
Ce qui permettait la forte croissance mondiale de 1997 à 2008 (5 % par an), c’est-à-dire à la fois les politiques de « dopage artificiel » de la croissance (hausse de l’endettement, déficits publics, utilisation des effets de richesse liés à la hausse des prix des actifs financiers et immobiliers) et la forte croissance des pays émergents et exportateurs de matières premières, a donc disparu.
On obtient donc une croissance mondiale faible, qui de plus s’auto-entretient : la faiblesse généralisée de l’investissement due à la faiblesse de la croissance conduit à un recul des gains de productivité, donc de la croissance à long terme du monde en régime de croisière. Les pays de l’OCDE et la Chine paient aujourd’hui la sur-utilisation des politiques de soutien artificiel de la croissance ; les pays émergents, autres que la Chine, l’oubli de ce que l’éducation et les investissements publics (énergie, infrastructures) étaient nécessaires pour assurer la pérennité de la croissance.