Le cri d’alarme de Patrice Douret concernant les Restos du Cœur a fait couler beaucoup d’encre et entraîné de nombreux dons. Pour Françoise Benhamou, trois leçons méritent d’en être tirées.
Dès 2009, la Cour des comptes avait salué la bonne gestion des Restos du cœur et l’engagement des 50 500 bénévoles. Ils sont aujourd’hui plus de 70 000 et fournissent 16 millions d’heures de travail. Sur l’exercice 2021-2022, le budget de l’association (576,3 millions d’euros) provenait de trois sources principales aux montants voisins. La première, le bénévolat est évalué à 185,1 millions d’euros (en valorisant les heures au smic). La deuxième rassemble les partenariats et les dons alimentaires (198,4 millions d’euros). La troisième est constituée par les ressources financières provenant des particuliers, des entreprises et par des subventions (192,8 millions d’euros). La billetterie et les produits dérivés des Enfoirés ne représentent que 1,5 % des ressources, mais comptent beaucoup dans la communication en vue de la collecte.
L’inflation, un défi pour les associations d’aide alimentaire
La sensibilité à la conjoncture revêt différentes dimensions. Tout d’abord, des donateurs peuvent être conduits à restreindre leurs dons si leur pouvoir d’achat diminue ou si leurs anticipations sont négatives. Ensuite, les sommes collectées, à niveau inchangé, couvrent moins de besoins du fait de la hausse des prix des denrées alimentaires. Les difficultés économiques peuvent enfin se traduire par la montée du nombre des bénéficiaires. C’est ainsi qu’il faut comprendre le cri d’alarme lancé par Patrice Douret, président de l’association, ou l’inquiétude exprimée par d’autres responsables d’associations caritatives.
On peut tirer trois leçons de l’épisode qui vient de se dérouler. La première est l’efficacité de l’appel lorsqu’il est fondé et qu’il fait écho aux inquiétudes des individus. Des recherches en économie expérimentale ont montré qu’une des motivations du don provient de ce que Serge-Christophe Kolm désigne comme un « intérêt personnel éclairé » : l’individu contribue à la lutte contre la pauvreté pour le cas où il serait à son tour dans le besoin. Bien d’autres motivations président à la générosité et on a vu les dons affluer.
Le mécénat financé par l’État
La seconde a trait au rôle respectif de l’Etat et des donateurs privés. Pour tout un courant d’économistes, dont James Buchanan fut un des chefs de file, la philanthropie participe de la nécessité de réduire le périmètre de la sphère publique. Et l’idée est ancrée dans le grand public d’une opposition radicale entre financement par l’État et mécénat.
Mais d’une part l’État alloue des crédits budgétaires non négligeables à l’aide alimentaire : 156 millions d’euros cette année, sans compter près de 120 millions de fonds européens. D’autre part, une large partie de l’argent privé collecté est compensée par un avantage fiscal qui constitue un manque à gagner pour les finances publiques. Un amendement, dénommé opportunément « amendement Coluche », permet une réduction d’impôt à hauteur de 75 % des versements aux associations pour la fourniture de repas, le logement ou des soins médicaux. Son plafond, fixé à 1 000 euros, a été prolongé jusqu’à la fin de l’année 2023. Il sera important d’en suivre le devenir.
Troisièmement, des événements dramatiques ou des annonces telle celle de Patrice Drouet ont la capacité de soulever des émotions collectives et conduisent les donateurs à se focaliser sur une cause. C’est heureux pour cette cause mais cela peut éclipser d’autres enjeux moins médiatisés. Grâce à la professionnalisation de la collecte, les organismes ont appris l’importance des campagnes en continu qui installent une relation de fidélité entre les donateurs et les organismes de bienfaisance. C’est dans cette continuité que la philanthropie s’exerce avec le plus d’efficacité. Ainsi, pour le Maroc si cruellement touché, les aides ne devront pas cesser avec l’émotion immédiate, mais se prolonger dans la durée.