« Je ne travaille jamais. Pourquoi travaillerais-je ? Le Plan a tout prévu. Il suffit de l’exercer. Et ça, c’est le travail des fonctionnaires. » Relaté dans C’était de Gaulle (Fayard, 1994) par Alain Peyrefitte, cette confidence aurait été faite par Nikita Khrouchtchev au Général, qui semblait nourrir une fascination pour cette institution. En janvier 1963, de Gaulle surenchérissait auprès de son Ministre de l’Information en déclarant que « le Ministre des Finances et le Ministre du Travail ne devraient rien avoir à faire pendant les quatre ans de la durée du Plan. La mécanique du Plan doit se dérouler toute seule. » Le président pouvait alors compter sur de brillants et dévoués haut-fonctionnaires qui firent du Commissariat Général au Plan (CGP) une administration puissante et respectée.
Filant la métaphore entre la situation actuelle et la reconstruction d’après-guerre, l’exécutif souhaite désormais recréer un CGP afin, selon les mots du Premier Ministre, de « retrouver les voies de l’anticipation ». Nous aurions donc un Gouvernement pour les 600 prochains jours et Commissariat Général pour les suivants.
En France, les institutions ne meurent jamais vraiment. Bien que supprimé en 2005, le CGP a subsisté en un organisme qui a changé trois fois de nom tout en gardant systématiquement dans son intitulé le mot stratégie, ce qui renseigne plutôt bien sur sa mission principale. France Stratégie, qui est la dénomination qui devrait survivre encore quelques jours, se présente comme un organisme indépendant mais néanmoins placé sous l’autorité du Premier Ministre, qui anime des débats afin « d’anticiper des mutations ». Le modèle reste clairement le Commissaire Charpin et son rapport « L’avenir de nos retraites », qui bien que publié en 1999 cadre encore aujourd’hui la réflexion sur le sujet.
Le CGP sera-t-il simplement le nouveau nom de France Stratégie, avec à la clef une petite valse des nominations ? Ce serait bien dommage, car le Phénix pourrait être très utile. Il y a urgence à renforcer et stabiliser l’administration du Premier Ministre qui est aujourd’hui une coalition hétéroclite de commissions, comités, conseils, haute-autorités et autres observatoires, paradoxalement moins puissante que Bercy. Le Premier Ministre a beau être le mal-aimé de la 5ème République, son rôle de chef d’orchestre est néanmoins crucial et doit dépasser le seul rôle d’arbitre. Trois compétences, qui lui sont naturellement dévolues, doivent être renforcées.
La première est la stratégie, et non le « conseil en stratégie », qui doit être définie et annoncée clairement. Ceci doit être porté par une administration qui assume ses priorités au-delà des arbitrages budgétaires entre les ministères. La seconde est le travail interministériel, qui doit être systématisé et suivi par une administration pérenne. La troisième est la programmation budgétaire pluriannuelle. Les engagements financiers sur plusieurs années sont nécessaires pour déployer une politique ambitieuse et lisible et il n’y a pas de raison de déléguer cette mission à la Direction du Budget.
Ces trois compétences ne peuvent être réalisées par le seul cabinet du Premier Ministre mais pourraient l’être par un CGP renforcé. Ce n’est pas d’indépendance dont cette administration a besoin, mais bien de pouvoir politique et financier. On pourrait ainsi retrouver la sérénité du Général de Gaulle qui déclarait qu’ « avec le Plan, on sait où l’on va. Faute de Plan c’est l’anarchie. »