La croissance chinoise ralentit malgré des politiques économiques stimulantes, observe Patrick Artus. Comment l’expliquer ?
Depuis le milieu de l’année 2018, la Chine montre tous les signes d’un ralentissement important et généralisé de sa croissance : la production industrielle d’ensemble ne progresse que d’un peu plus de 5 % par an, mais, pour de nombreux biens, la croissance de la production est nulle ; les ventes de voitures ont reculé de 15 % sur un an, la construction de logements a diminué de 30 % en trois ans, l’investissement en biens d’équipement stagne, les ventes au détail ne progressent plus que de 6 % par an, alors que le rythme habituel était de 9 à 10 %.
Officiellement, la croissance du produit intérieur brut (PIB) a été de 6,6 % en 2018, après 6,9 % en 2017. On peut avoir des doutes sérieux sur la validité des chiffres de croissance publiés. Il paraît douteux que la croissance ait été en réalité supérieure à 5 % en Chine en 2018.
A la différence du passé, le ralentissement présent de la croissance n’est pas dû à la volonté de « refroidir » l’économie par des politiques économiques restrictives. Le déficit public a atteint 3,6 % du PIB en 2018, la politique monétaire est expansionniste, la Banque centrale soutient la liquidité des banques pour qu’elles puissent prêter davantage, le crédit bancaire progresse de 14 % en un an, les prix de l’immobilier ont augmenté de 12 % en un an. On a donc bien aujourd’hui en Chine un freinage de la croissance malgré des politiques économiques stimulantes ; comment l’expliquer ?
Composante cyclique et évolutions structurelles
Il existe certainement une composante cyclique : le taux d’utilisation des capacités dans l’industrie est faible (74 %), ce qui explique la stagnation de l’investissement industriel ; avec les aides fiscales mises en place, les Chinois ont de manière accélérée acheté des voitures neuves, et il est normal qu’il y ait retournement à la baisse des ventes de voitures ; le niveau de la construction de logements de 2012 à 2016 était certainement excessif.
Mais on peut s’inquiéter de deux évolutions structurelles défavorables. D’une part, il y a certainement à nouveau perte de confiance des Chinois en l’avenir, ce qu’on peut mesurer par les sorties de capitaux : malgré les contrôles, celles-ci ont atteint 60 milliards de dollars par mois en 2018, alors qu’elles avaient disparu en 2017 : le « sport national » pour les riches Chinois est à nouveau d’envoyer son argent à l’étranger. Ceci peut être rapproché de la nouvelle stratégie de croissance du président, Xi Jinping, centrée sur le développement des grandes entreprises d’Etat et non plus sur les entreprises privées : ces dernières, qui bénéficieraient en moyenne de 50 % des crédits, n’en ont reçu que 10 % en 2018.
D’autre part, on voit sans doute apparaître les premiers effets pervers de l’excès d’épargne. Le taux d’épargne est extrêmement élevé (45 % du PIB) et, avec les contrôles sur les sorties de capitaux, cette épargne doit rester dans le pays. Il y a alors nécessairement hausse de l’endettement (il atteint 250 % du PIB, pour l’Etat, les collectivités locales, les ménages et les entreprises), puisque l’épargne des Chinois doit être prêtée à d’autres Chinois. Cette épargne excessive conduit à des taux d’intérêt anormalement bas (5 % en moyenne pour le taux d’intérêt des crédits) et à la réalisation d’investissements inefficaces, en particulier dans la construction. On voit donc apparaître le couple dette élevée/capital en partie inefficace, qui peut détruire la croissance si le rendement du capital inefficace est inférieur au coût de la dette.
On peut aussi avoir deux autres inquiétudes sérieuses pour l’avenir. Celle, d’une part, que le retour à une stratégie de croissance et de montée en gamme technologique basée sur les grandes entreprises d’Etat échoue, si ces entreprises n’acquièrent pas un dynamisme suffisant. D’autre part, qu’une dette importante ait financé du capital inefficace, ce qui est évidemment un frein à la croissance future.