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Les nouvelles générations vont-elles réinventer la démocratie ?

Faut-il s’inquiéter de la moindre participation aux formes traditionnelles d’engagement citoyen (vote, partis politiques) ou, au contraire, peut-on y voir la volonté des nouvelles générations de réinventer la démocratie ? En ce mois de juin très politique, nous avons proposé à François Hollande, ancien président de la République, d’en débattre avec Anaïs Abchar, présidente de l’association Want to help et membre du projet Jeunesse(s).

Décriés pour leur manque de transparence, leur complexité, leur verticalité, les mécanismes démocratiques sont souvent l’objet de critiques. Vous semblent-elles fondées ?

François Hollande Oui, pour une part. Il y a chez les citoyens l’idée qu’ils ne peuvent pas participer à un certain nombre de délibérations qui les concernent directement. Ces délibérations peuvent prendre la forme de l’appel à un référendum ou d’éléments beaucoup plus locaux, plus concrets, où il est possible d’associer les gens à leur propre destin. Il y a des formules comme les tirages au sort ou les conventions citoyennes qui permettent une réflexion collective. L’idée, ce n’est pas simplement de demander aux citoyens de dire « oui » ou de dire « non », c’est de les accompagner dans une réflexion qui va être étayée par des éléments d’information qui leur seront apportés par des personnes d’expérience, des experts, des scientifiques. Tout ça, pour qu’ils puissent eux-mêmes être capables d’exercer un choix lucide.

Anaïs Abchar Les sujets d’abstentions actuels, notamment chez les jeunes, nous montrent que l’enjeu est de rendre beaucoup plus accessibles et transparentes ces décisions politiques. Je fais partie de la génération des années 2000, chez qui il y a une frustration vis-à-vis des enjeux prioritaires, comme l’écologie qui n’est pas le premier sujet des débats. Nos institutions doivent évoluer autant que la société civile a elle-même a déjà évolué.

L’engagement citoyen semble s’être détourné du vote au profit d’un engagement plus associatif ou militant, hors du cadre des partis politiques. Pourquoi les jeunes ne transposent-ils pas cet engagement réel dans le domaine politique ?

F.H. Tout d’abord, les taux d’abstention sont significativement plus élevés chez les moins de 25 ans que chez les plus de 75 ans. C’est un paradoxe. Lorsqu’on est plus âgé, l’enjeu même du scrutin parait moins important, compte tenu de son espérance de vie. Pour un jeune, décider aujourd’hui, c’est savoir dans quelle société, quel monde il vivra. Deuxième constat, l’éducation à la citoyenneté fait que les plus âgés connaissent assez bien les institutions, les modes d’élection et parfois même les enjeux. Tandis que les plus jeunes, faute d’avoir été accompagnés, dans le cadre de l’école, de partis politiques, d’associations ou de syndicats, se détournent du vote. Ils n’en comprennent pas l’impact ni la portée. J’ajoute un dernier élément. Le vote n’est pas la seule façon d’agir politiquement. L’engagement, c’est aussi être membre d’une association, protester, manifester et faire en sorte que des propositions émanent du débat public. C’est raccourcir la démocratie que de la réduire au vote. Mais sans le vote, il n’y a pas de démocratie, c’est ce message qu’il faut expliquer.

« Le vote n’est pas la seule
façon d’agir politiquement »

françois hollande

A.A. Il y a un enjeu d’éducation à la citoyenneté. Les jeunes sont très peu conscients de l’impact du vote, de l’héritage, de la chance que nous avons de vivre dans une démocratie. Nous savons que l’éducation civique ne représente malheureusement que 30 minutes par semaine dans le programme scolaire. C’est très peu pour comprendre le fonctionnement démocratique. Heureusement, certaines associations effectuent un travail de vulgarisation. Il faut aussi que les jeunes se sentent représentés. Certains candidats arrivent à fédérer la jeunesse. Chez les jeunes, le rapport au temps est également complètement différent. Cela bouleverse profondément la manière de voir la vie politique. Je crois beaucoup en la politique locale. Je travaille pour permettre à des jeunes de s’engager localement et de découvrir la vie associative locale. Il ne faut pas critiquer les nouvelles formes d’engagement, mais au contraire essayer de les comprendre. Le monde associatif doit s’adapter à des jeunes bénévoles qui s’engagent de manière plus ponctuelle, plus irrégulière. Cette évolution doit être perçue comme une richesse, une source de motivation, pour que les organisations, les partis politiques, les associations et les syndicats saisissent cet élan.

F.H. Les partis politiques ont longtemps attiré l’engagement. Il y avait une transmission : les plus âgés partageaient avec les plus jeunes des éléments de compréhension. Les campagnes électorales rassemblaient des personnes de catégories sociales, de milieux et de territoires variés. Aujourd’hui, ces éléments de mobilisation commune ont disparu. L’engagement local est tout à fait décisif. Si j’avais des conseils à donner à des jeunes qui peuvent se sentir peu représentés, ce serait de figurer dans les listes pour les prochaines élections. C’est à cette échelle que se détermine une partie de leur vie. Beaucoup de politiques municipales sont axées sur l’enfance, l’école, l’environnement, la sécurité… autant d’éléments qui peuvent convaincre de l’engagement.

A.A. L’échelon local est essentiel. Nous l’avons vu en créant la Fresque engagée, un jeu de cartes centré sur les 17 objectifs de développement durable, dans un centre social de Pontault-Combault avec 15 jeunes. La direction du centre et la ville étaient présentes et étaient assez surprises de voir le nombre d’idées et de solutions impactantes proposées par les jeunes pour leur territoire. À l’échelle locale, les jeunes ont énormément d’idées, il suffit de créer des instances, de les écouter et de valoriser leurs projets.

« Cette évolution doit être perçue comme une richesse, une source de motivation pour les organisations, les partis politiques, les associations et les syndicats »

Anaïs Abchar

Une des propositions formulées dans le cadre du projet Jeunesse(s) du Cercle des économistes était la mise en place d’un « parcours citoyen » piloté par des élus locaux pour réconcilier les jeunes avec les institutions. Faut-il obliger les élus locaux à mieux prendre en compte la jeunesse ?

F.H. On ne peut pas obliger des élus à prendre des jeunes et à les accompagner, mais on peut le suggérer. Nous pourrions également repenser les stages de troisième. Les élèves pourraient suivre des élus municipaux dans leur activité pour découvrir leur métier. Cela représenterait une forme d’éducation civique concrète. J’étais également favorable à ce qu’il y ait une épreuve au baccalauréat ou au brevet pour que chacun connaisse exactement les institutions de son pays. Il ne s’agit pas de connaître la constitution par cœur, mais au moins de savoir comment fonctionne notre démocratie. C’est très important de le savoir.

A.A. Avec l’association « Want to help » que nous avons monté, nous créons des parcours citoyens. Nous prenons quinze à vingt jeunes par promotion pour leur faire rencontrer tout un tissu d’associations locales et réaliser une action de bénévolat de trois heures, de manière ponctuelle, un samedi après-midi. Je crois beaucoup au concret, en la pratique, pour transmettre et comprendre le monde qui nous entoure. Je suis totalement d’accord avec le fait d’utiliser le stage de troisième comme une réelle opportunité d’accès à la citoyenneté. En troisième, on est assez jeune et l’enjeu de l’orientation reste encore flou pour beaucoup. Je crois également beaucoup en la valorisation de l’engagement en général. Ce serait très pertinent de valoriser les heures de bénévolat au sein de l’Éducation nationale pour les lycéens pour qu’ils puissent, dans un temps limité, découvrir une association, s’engager et que cet engagement soit valorisé comme une option au baccalauréat.

Une autre proposition était « d’offrir du temps » et de mettre en place un congé payé pour l’engagement citoyen ou pour le bénévolat. Quel rôle doivent jouer les entreprises dans la vie démocratique ?

F.H. Il y a de plus en plus d’entreprises qui permettent d’avoir des congés. Il faudrait sûrement, comme pour les élus locaux, avoir un temps donné à ceux qui sont engagés durablement dans une association. Il faut donc sans doute donner une incitation aux entreprises et une valorisation dans les parcours professionnels pour les jeunes, ou les moins jeunes d’ailleurs, qui font un acte d’engagement citoyen.

A.A. Effectivement, pour moi, inciter les entreprises est très important. Il y a de plus en plus d’entreprises, notamment aux États-Unis et également en France, qui offrent un ou deux jours dans l’année pour une association. Les enjeux RSE se développent et incitent les entreprises à développer le mécénat de compétences auprès des associations, qui sont le nœud de l’engagement. C’est un engagement qui ne nécessite pas de CV, où l’on peut venir aider avec ses mains ou son cerveau et très vite gagner en responsabilité. Je pense que c’est un réel levier pour que les jeunes trouvent leur place, pour avoir un premier « réseau social » réel et pour développer leurs premières compétences.

En 2024, nous fêtons les vingt ans de Facebook. Les espoirs des origines ont fait long feu… Y a-t-il une manière d’allier intelligemment la technologie et la participation démocratique ?

F.H. Certains n’utilisent que la technologie, et ce, avec efficacité. La « tiktokisation » de la vie publique existe. Je ne conteste pas ces formes-là, qui peuvent avoir leur intérêt, mais il ne faut pas réduire le débat politique à ça. La technologie a comme avantage de pouvoir mobiliser des gens très rapidement sur un événement, lancer un appel… Un certain nombre de mouvements sociaux se sont créés grâce à elle, mais je reste convaincu que l’humain reste nécessaire. Je suis inquiet quand je vois des gens qui ne parlent pas, ils ont une colère intérieure, mais ils ne l’expriment plus. Dès qu’on exprime, même son opposition, on cherche un contact, un rapport. Il faut miser sur l’engagement contre l’enfermement. Le risque majeur, c’est l’enfermement dans sa famille, dans son quartier, dans son réseau, y compris sur Internet ou sur les réseaux sociaux. L’intérêt est de parler à des gens qui ne pensent pas comme vous, qui n’ont pas votre âge, qui ne vivent pas dans votre quartier et qui vont vous raconter une histoire différente.

A.A. Je pense que la technologie est un super outil pour mobiliser, pour éduquer à la citoyenneté. Beaucoup de créateurs de contenu démocratisent des sujets de la vie politique, de l’histoire… En revanche, elle a ses limites. Il faut une éducation à la vie numérique pour les jeunes et les moins jeunes. Il est donc primordial d’enseigner qu’est-ce qu’une bonne information, comment on la traite, comment on la source, dans le but d’éviter le risque des fake news et de la désinformation.


Le projet Jeunesse( s ) du Cercle des économistes est le premier dispositif en France visant à intégrer pleinement les problématiques des jeunesses dans les réflexions économiques et les politiques publiques. En trois étapes, des jeunes encadrés d’experts des mondes académique, économique ou associatif, discutent, réfléchissent et coconstruisent des propositions concrètes, portées aux Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence par une délégation de 150 jeunes. L’an dernier, 35 000 jeunes ont pris part au dispositif.

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