Deux années de suite, une française a remporté un prix Nobel, le prix Nobel d’économie pour Esther Duflot l’année dernière, et le prix Nobel de Chimie cette année pour Emmanuelle Charpentier.
Deux raisons de se réjouir, d’abord la percée des femmes du plafond de verre scientifique, et ensuite l’excellence de la formation française d’élite une de fois plus reconnue : dans le cas d’Esther Duflo, l’ENS et un master d’économie à ce qui deviendra PSE ; dans le cas d’Emmanuelle Charpentier, l’institut Pasteur et un doctorat à Paris 6. En revanche, le cri de cocorico de la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, semble franchement hors de propos. Leurs carrières de chercheuse ont été intégralement réalisées à l’étranger, au MIT pour l’essentiel pour la première, aux Etats-Unis, en Autriche, en Suède et en Allemagne pour la seconde.
Ces deux distinctions prestigieuses viennent illustrer un phénomène qui ne fait que prendre de l’ampleur depuis plus de vingt ans, l’internationalisation des parcours de recherche avec une concurrence exacerbée entre les institutions et les pays pour retenir les éléments les plus prometteurs à travers des conditions de travail attrayantes, des moyens pour la recherche et des salaires élevés. Et à ce jeu, la France perd du terrain chaque année. Des cerveaux quittent le pays. Les raisons sont multiples : bureaucratisation excessive avec un mille-feuille institutionnel qui n’a fait que s’épaissir au cours des années, budget de l’ANR anémique, absence de fondations privées d’envergure, possibilités de promotion raréfiées, salaires plafonnés à 5000 € hors prime pour le sommet de la carrière.
Emmanuelle Charpentier a déclaré tout de go à l’annonce de son prix Nobel « La France aurait eu du mal à me donner les mêmes moyens qu’en Allemagne. » Si elle avait cité les Etats-Unis, on aurait compris. L’économiste ne peut que sursauter à cette phrase : la différence de PIB par tête n’est pas telle qu’elle puisse expliquer que la France ne soit pas en mesure d’offrir les mêmes moyens : un écart de 15% qui se reflète par un écart de dépenses publiques du même ordre de grandeur. Les priorités sont simplement différentes.
Est-ce grave ? Après tout, Bixente Lizarazu a fait une grande partie de sa carrière au Bayern de Munich, Emmanuelle Charpentier fait la sienne à l’institut Max Planck d’Hambourg. Sauf que dans le second cas, l’écart va se creuser à la génération suivante. Les étudiants en thèse français se diront qu’il vaut mieux faire ses recherches à Hambourg plutôt qu’à Paris pour bénéficier des conseils et de l’expertise de la nouvelle récipiendaire du Nobel. Un effet boule de neige va s’enclencher avec des conséquences ensuite sur la localisation des laboratoires de recherche privés.
La loi de programmation pour la recherche (LPR) n’apporte qu’une réponse très partielle, avec un gain de budget annuel de 5 milliards à l’horizon 2030. Les réformes de structure sont encore une fois reportées. Et si les salaires des jeunes chercheurs seront revalorisés d’une manière très substantielle, force est de constater que rien n’est fait pour rendre concurrentielle les rémunérations de la fine pointe de la recherche, les membres du Collège de France, les personnes distinguées par des prix internationaux ou les médailles d’argent et d’or du CNRS. Notre proposition : doubler leur rémunération pour un coût de 10 millions d’Euros, une goutte d’eau. Mais j’oubliais, c’est tabou, cela augmenterait les inégalités !