" Osons un débat éclairé "

Contrer la persistance de la pauvreté

La pauvreté n’est pas un phénomène nouveau et ses effets sont bien connus. Après un rappel de quelques unes de ses nombreuses conséquences, Françoise Benhamou propose une méthode adaptée pour la contrer.

On le sait, le phénomène de la pauvreté est relatif, et sa mesure varie dans l’espace et dans le temps. En France, le seuil de pauvreté est évalué à 60 % du niveau de vie médian de la population, soit un revenu disponible de 1102 euros par mois en 2020 pour une personne vivant seule et de 2 314 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans. Bien que moindre dans notre pays que dans des pays comparables (Royaume-Uni et Allemagne notamment), du fait de l’importance des filets sociaux tissés au cours du temps, elle est aisément instrumentalisée à des fins politiques et son évocation est un sujet clivant, propice aux fake news. Il est vrai qu’en 2019 on compte encore 9,2 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en France métropolitaine. Notre pays s’est enrichi au fil des décennies, mais le « grand enrichissement » qu’évoque Deirdre McCloskey laisse nombre d’individus au bord du chemin.

Un héritage peu désirable

On peut se demander quel est notre degré de tolérance sociale face à la pauvreté, et si cette tolérance ne tient pas au fait que celle-ci est concentrée dans l’espace. En effet, si elle concerne la plupart des territoires, elle est bien plus forte dans certains quartiers des centres urbains et de leur périphérie. Selon l’INSEE, les deux-tiers des personnes pauvres résident dans les grands pôles urbains. S’y alignent de grandes barres d’immeubles et des ensembles pavillonnaires où les services publics sont déficients et parfois absents. Étudiants et familles monoparentales sont tout particulièrement touchés. Pour celles-ci, se déploient des trajectoires générationnelles qui doivent nous qui interpeller. Stéphane Carcillo, Élise Huillery et Yannick L’Horty, dans une note du CAE de 2017, relèvent que les enfants « héritent » de la pauvreté de leurs parents. On pourrait rêver plus bel héritage. A la probabilité d’être en échec scolaire, lequel conduit à des parcours professionnels chaotiques, s’ajoutent les effets de la concentration territoriale de la pauvreté. Il faut alors un traitement fin, localisé, que les collectivités territoriales sont plus à même de mettre en œuvre que l’État.

Une vraie politique urbaine et sociale

La tentation est grande d’afficher de bons sentiments tout en s’arrangeant de cet état de fait qui échappe aux préoccupations des syndicats, centrées sur ceux qui travaillent (et bien qu’il existe des travailleurs pauvres), comme à tous ceux qui, à la faveur de la ségrégation spatiale, n’y sont que rarement confrontés. En évitant les catalogues de mesures, spécialité ministérielle qui ignore la couleur politique du gouvernement qui les promeut, tout doit être fait pour contrer la ségrégation spatiale, aider à la mobilité, décloisonner centres urbains et périphéries. Paris pourrait donner un bel exemple en devenant, à l’instar d’autres capitales, une seule et même entité administrative, créant une solidarité au lieu d’une coupure entre les quartiers de part et d’autre du périphérique. Pour ce faire, il faudrait dépasser les réticences de ceux qui s’attellent à en faire un havre de paix pour les plus aisés, s’arrangeant du devenir muséal d’une ville touristique, et jouissant d’une offre culturelle qui leur est principalement dédiée. Repenser la ville dans sa diversité et réallouer nombre d’aides en vue d’une vraie politique urbaine et sociale est une marche à ne pas manquer afin de réduire autant que possible la transmission des déterminants de l’installation dans la pauvreté.

 


 

Françoise Benhamou, Présidente du Cercle des économistes et Professeure émérite à Sorbonne-Paris Nord

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