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Donner un nouveau souffle à l’innovation ?

Propos introductif de Bertrand Jacquillat, membre du Cercle des économistes

Un nouveau souffle à l’innovation a déjà été donné. En octobre 2021, un grand plan d’investissement d’avenir a été lancé par Emmanuel Macron. Depuis lors, plusieurs dizaines de sociétés, les fameuses « licornes », ont désormais atteint ou dépassé, en France, ce milliard d’euros. Donc, la France a beaucoup d’atouts et Éric Le Boucher, journaliste aux Échos, parlait d’une transformation disruptive et historique qui avait eu lieu grâce aux innovations qui ont imprégné beaucoup de secteurs, tels que le luxe, une partie de la tech et toute l’économie post carbone. Avec l’accord de chacun des participants, nous allons nous focaliser, lors de cette session, plus particulièrement sur l’apport de l’intelligence artificielle dans l’innovation. Il faut dire que l’intelligence artificielle demande énormément de moyens à la fois en termes calculatoires, avec d’immenses bases de données, et bien entendu de talents, pour utiliser ces ressources.

La France, d’ailleurs, ne manque pas d’atouts. D’abord, il y a des atouts en matière humaine puisque, bien que les classements de l’éducation en France baissent selon les classements PISA, nos ingénieurs diplômés des grandes écoles scientifiques sont énormément demandés dans le monde entier, y compris dans la Silicon Valley. Il y a bien entendu les moyens financiers, et le capital-risque est en cinquième position pour le financement de start-ups innovantes en France, après les États-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne et l’Inde. Des atouts en matière énergétique puisque, pour faire fonctionner tout cela, il faut beaucoup d’énergie et, grâce au renouveau du programme nucléaire, la France disposera, sur la durée, d’énergie peu chère. En fin de compte, il y a un gisement d’opportunités et on peut prendre l’exemple d’une association privé-public qui ferait florès dans le domaine de la santé. Les deux secteurs où les gains de productivité sont les plus faibles sont l’éducation et les activités d’hygiène et de santé ce qui plombe la croissance de la productivité et la croissance économique. Mais dans le domaine de la santé, on peut tirer parti d’un désavantage, car pour avoir de l’intelligence artificielle il faut d’énormes bases de données et, en matière de santé, une alliance entre les sociétés comme Doctolib et l’Assurance Maladie, qui est centralisée, peut constituer un atout permettant de disposer de bases de données considérables.

Synthèse

Il paraît indispensable de créer un écosystème favorable à la révolution technologique et notamment au développement de l’intelligence artificielle (IA), explique Clara Chappaz, au regard de l’enjeu économique qu’elle représente. Une révolution qui pèsera plus de 1 300 milliards d’euros d’ici 3 à 4 ans et touchera tous les secteurs comme dans le domaine de la santé, de l’automobile et de bien d’autres. Il paraît possible d’être optimiste pour la France au regard des succès de la french tech dans la période récente, en s’appuyant sur l’accès aux talents, l’accès au financement, en travaillant collectivement, grâce à l’accompagnement de l’État y compris grâce à la collaboration entre les start-ups et les grands groupes pour favoriser l’innovation. De nombreux Français sont présents dans les laboratoires à l’étranger. La France fournit plus d’un quart des chercheurs en IA en Europe. Certains de ces chercheurs reviennent désormais en France pour lancer leur propre entreprise, avec l’intelligence artificielle générative. Les efforts déjà menés avec France 2030, la BPI, en parallèle à l’attractivité des fonds, semblent permettre de disposer de la puissance nécessaire au développement de ces technologies. L’expertise développée durant les dernières années va pouvoir être mise à disposition avec profit dans l’accompagnement des start-ups dans ce domaine. La connexion entre les grands groupes et les start-ups doit être renforcée pour construire une vision commune et répondre aux enjeux de souveraineté.

Les modèles sur lesquels repose l’intelligence artificielle ont besoin d’être pré-entraînés, rappelle Olivier Girard, en s’appuyant sur une masse de données considérable. La connaissance, compréhension et maîtrise des éléments de données utilisés sont nécessaires. Cela confirme que les données constituent un nouvel actif de l’entreprise qui devrait être encadré, avec une gouvernance et un audit. Par ailleurs, l’impact de l’IA concerne l’ensemble de l’entreprise alors que les technologies s’occupaient surtout du back-office, en allant beaucoup plus loin dans la relation client et en visant le paradigme de l’extrême personnalisation. À l’avenir, tous les collaborateurs disposeront d’un assistant, d’un copilote et désormais, l’intelligence artificielle est capable de traiter des éléments extrêmement complexes, notamment dans le domaine de l’assurance et des sinistres par exemple. Tous les collaborateurs doivent être accompagnés afin de devenir des hommes et des femmes augmentés en mariant l’ingéniosité humaine et la technologie.

SEQENS opère dans le domaine pharmaceutique, précise Gildas Barreyre, grâce à une recherche très développée, 10 % des effectifs étant dédiés à l’innovation, à la recherche et au développement, pour améliorer les procédés et leurs performances, mais aussi l’accompagnement des clients, pour accélérer le développement des molécules. L’innovation constituant un enjeu de survie. La valorisation des apports durables de l’innovation constitue un des premiers enjeux pour donner un nouveau souffle à l’innovation au regard de l’empreinte environnementale. Après la digitalisation des procédés, il s’agit désormais de déterminer comment s’emparer au mieux des ruptures technologiques nouvelles en s’intégrant dans l’écosystème qui les diffuse, en déterminant comment répondre aux besoins des clients, grâce à elles, ainsi qu’à ceux de la collectivité. L’IA va nous permettra d’accélérer le développement des nouvelles molécules grâce au recueil de données, à la caractérisation de la molécule et en la croisant avec ses effets sur le patient. La proximité est ainsi un élément essentiel du développement de ces technologies qui doivent l’être en France.

La recherche fondamentale constitue le pilier décisif pour l’innovation, annonce Minggang Zhang. Cela justifie l’implantation de centres de recherche de Huawei en France au regard des compétences, notamment en mathématiques, présentes sur le territoire, en leur donnant la possibilité d’accueillir des scientifiques du monde entier. 140 milliards de dollars ont été investis dans la recherche et développement dans les dernières années et l’année précédente a constitué un record, avec 25 % du chiffre d’affaires investi. La dimension collaborative par ailleurs est significative dans ce domaine, comme l’illustrent les travaux menés sur la 5G, y compris à l’échelle internationale. Les différents écosystèmes sont en effet connectés entre eux. Les tensions internationales récentes ne vont probablement pas durer car elles induiraient une forme de retour en arrière qui ne paraît souhaitable pour personne.

Une invention constitue une création de l’esprit qui ne donnera pas nécessairement lieu à une innovation puisqu’elle ne rencontrera pas forcément un marché en devenant un produit, rappelle Fleur Pellerin.  Elle a tenu, dans ses fonctions ministérielles, à favoriser la mise en lien des différentes ressources présentes sur le territoire national, pour réaliser un écosystème performant mais l’autorité publique pouvait être perçue avec scepticisme au regard de son caractère trop administratif. La stratégie publique pour orienter les investissements sur les acteurs d’avenir ne semble pas être la plus performante comme cela s’est illustré notamment dans le champ du cloud. Il est encore possible d’agir avec profit dans le champ de l’intelligence artificielle. La cristallisation positive qui s’est opérée avec la french tech s’est appuyée sur l’objectif de mettre en place une réglementation favorable stimulant le financement de l’innovation, avec le crédit d’impôt innovation par exemple, en insufflant une culture du risque plus développée, en motivant à la création d’entreprise (en s’appuyant sur les succès français) et favorisant l’orientation des jeunes dans les formations sur les algorithmes. L’IA a donc un caractère très transversal.

Olivier Girard constate que RGPD a pu constituer une source d’inspiration à l’international et que la réglementation est nécessaire pour être responsable et constituer un outil de différenciation.

La collaboration de tous les acteurs, y compris sur le plan de la réglementation, est nécessaire pour élaborer le cadre le plus adapté en amont, insiste Clara Chappaz. Cela permet d’être responsable sans ralentir excessivement le développement.

Fleur Pellerin privilégie une smart régulation comme celle mise en place pour les financements participatifs qui avaient justement besoin de réglementation pour se développer en permettant à d’autres acteurs que les banques d’intervenir.

Les pouvoirs publics mènent actuellement une réflexion sur les données qui pourront être mises à disposition et mobilisées au profit du développement de cette technologie, observe Olivier Girard. La plateforme de santé numérique qui a pour objectif d’abriter l’ensemble des données de santé anonymisées est en cours d’élaboration. Mais, pour réussir, il faut que chacun y trouve du sens, de la valeur. Il est nécessaire que la puissance économique le démontre et l’exploite avec profit pour tous.

Les États-Unis ont une certaine avance par rapport à la France dans ce domaine, confirme Gildas Barreyre, grâce à leur capacité à très vite transformer une innovation en industrialisation et en production.

La vitesse d’évolution actuelle dans le domaine de l’IA produit une inquiétude chez certains, notamment au regard du risque sur l’emploi, relève David Barroux. Comme Yann Le Cun l’a évoqué lors du salon Vivatech, un moratoire serait absurde et les freins aux éventuelles dérives de ces technologies seront inventés progressivement, à mesure qu’elles progressent.

Propositions

  • Créer un écosystème favorable à la révolution technologique en s’appuyant sur les talents et en collaborant entre grands groupes et start-ups comme entre public et privé (Clara Chappaz).
  • Réguler la possession, la connaissance, la maîtrise et l’usage des données (Olivier Girard).
  • Valoriser les apports durables de l’innovation pour lui donner un nouveau souffle au regard de l’empreinte environnementale (Gildas Barreyre).
  • Étendre l’accélération du développement des nouvelles molécules grâce au recueil de données, à la caractérisation de la molécule, en la croisant avec les effets sur le patient (Gildas Barreyre).
  • Développer une approche collaborative dans le domaine de l’innovation, y compris à l’échelle internationale, entre les différents écosystèmes (Minggang Zhang).
  • Mettre en place de manière collaborative une smart régulation (Fleur Pellerin).

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