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La société du risque condamne-t-elle le progrès ?

Propos introductif d’Éric Revel, L’Hémicycle

Bonjour, soyez les bienvenus pour cette controverse des 23e Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, avec deux personnes de grande qualité qui incarnent à la fois le risque et le progrès, le passé et l’avenir. Étienne Klein, historien, physicien, et Thomas Buberl, patron du groupe Axa, géant mondial de l’assurance.

Nous essayons de voir comment le risque peut impacter, ou non, le progrès. Quelle est l’histoire du progrès ? Comment pouvons-nous lier le progrès au risque dans un pays ayant connu les Lumières avec Condorcet, avec d’Alembert et les autres ?

Synthèse

D’après Emmanuel Kant, l’idée de progrès est doublement consolante et sacrificielle, déclare Étienne Klein. Le progrès nous console des malheurs du présent en nous projetant vers un avenir meilleur et donne un sens au sacrifice qu’il impose. Croire au progrès revient donc à accepter de sacrifier du présent personnel au nom d’un futur collectif, configuré à l’avance de manière crédible et attractive. Aujourd’hui, ce rapport au risque est inversé et nous refusons de l’associer au sacrifice, notamment car l’avenir ne nous semble plus attractif. Le risque n’est plus le prix à payer pour faire advenir le mieux, il est au contraire le symptôme d’un dérèglement général à corriger. Selon la théorie du sociologue David Fleming, l’humain doit être capable d’imaginer des mesures de réduction du risque pour le considérer en tant que tel.

Autrement dit, le risque est une donnée de la condition humaine. De ce mécanisme, nous vient l’obsession de réduire les risques. Le risque est également une notion toujours plus envahissante qui conduit à une forme d’anxiété. Par ailleurs, dans les faits, le terme de progrès disparaît du vocabulaire des politiques depuis quelques années pour être remplacé par le mot « innovation ». Ce remplacement ne rend pas justice à l’idée de progrès et participe à l’anxiété du risque dans la mesure où l’innovation est liée à une forme de conservatisme ; il s’agit de faire évoluer des principes et mécanismes existants pour qu’ils continuent d’être valides. En voulant moderniser l’idée de progrès par l’emploi du terme « innovation », nous l’avons trahie. Il serait préférable de réfléchir à la manière de faire « progresser » l’idée de progrès afin qu’elle soit cohérente avec ce que nous vivons aujourd’hui. La technologie n’est plus vectrice de pédagogie scientifique comme au temps des Lumières dans la mesure où les objets techniques les plus complexes nous sont si familiers que nous n’avons plus besoin de savoir comment ils marchent pour les utiliser. Paradoxalement, la technologie nous éloigne donc de la science.

Le progrès est le produit de la prise de risque, estime Thomas Buberl. Or, les rapports sur les risques futurs montrent que ces derniers augmentent et que les sociétés sont de plus en plus vulnérables, qu’elles n’ont pas l’envie de prendre davantage de risques et ont de moins en moins confiance dans les institutions pour les aider. Dans le même temps, de nouveaux risques émergent et nous imposent d’agir. L’assurance est au cœur de cette action. Le principe de précaution n’est pas contradictoire avec l’idée de progrès, il est lié à une prise de risque maîtrisée. Parmi les nouveaux risques, on peut citer le cyber risque qui est systémique et remet en question le principe classique de mutualisation. En effet, il peut toucher tout le monde simultanément. Dans ce contexte, il est important de mettre en place des partenariats public-privé pour anticiper le risque et le besoin de réfléchir à des actions de prévention pour maîtriser le risque et se préparer aux conséquences. La prévention fonctionne, en témoignent les réponses de plus en plus efficaces aux catastrophes climatiques, y compris du côté des populations qui ont désormais conscience de la manière dont elles doivent se préparer. Les assureurs ne peuvent assumer seuls les conséquences des risques, il est essentiel de mettre en place une triple responsabilité avec l’État et les particuliers. Aujourd’hui, les progrès technologiques sont multiples et nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour en identifier les bénéfices et les dangers, l’IA en fait partie et pourrait s’avérer porteuse de nombreuses améliorations pour le secteur des assurances. Pour un groupe comme Axa, le risque lié au climat est tout aussi important que le cyber risque. Il s’agit des deux grands défis auxquels des réponses doivent être rapidement apportées.

Propositions

  • Développer des partenariats public-privé et accompagner les acteurs économiques comme les particuliers dans l’anticipation des nouveaux risques (Thomas Buberl).
  • Mettre en perspective la philosophie des Lumières avec la société actuelle, afin de trouver une nouvelle définition du progrès en adéquation avec la réalité du XXIe siècle (Étienne Klein).

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