L’inclusion économique des jeunes représente un défi économique et social, aussi bien en France qu’en Europe. La mise en place de politiques publiques concernant cette partie de la population est particulièrement délicate tant les 15-29 ans sont hétérogènes du point de vue des origines géographiques, des compétences ou du niveau de formation. Parmi cette population jeune, les NEETs (Not in Employment, Education nor Training) devraient particulièrement attirer l’attention des pouvoirs publics tant ils pourraient générer des opportunités économiques et sociales.
Comme le détaille cette note présentée par Le Cercle des économistes, on estime que leur intégration sur le marché du travail pourrait permettre à la France de gagner jusqu’à 0,4% de PIB. Les leviers d’action dont dispose le pays pour parvenir à cette insertion se concentrent sur deux axes : la formation professionnelle et l’acquisition de compétences d’une part, la ségrégation spatiale d’autre part.
L’inclusion économique des jeunes au cœur des préoccupations
Par Jean-Hervé Lorenzi, Sonia Louhab, Selma Mahfouz et Anissa Zerrari
L’inclusion économique des jeunes doit être au cœur des préoccupations économiques et sociales françaises, cela car leur insertion est un véritable enjeu déterminant pour la suite de leur carrière professionnelle. Plus encore, cette intégration économique représente aussi bien un coût pour les finances publiques qu’un important manque à gagner pour l’économie française, bien qu’il soit difficile d’agir auprès de cette population marquée par son hétérogénéité et par sa concentration dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Les jeunes en France : l’insertion sur le marché du travail comme enjeu économique et social
L’insertion des jeunes sur le marché du travail est un enjeu essentiel car il s’agit d’une phase de transition qui détermine en grande partie la carrière des individus. Alors que les jeunes dédient un certain nombre d’années à leurs études, qu’elles soient primaires, secondaires voire supérieures, l’intégration dans l’emploi s’avère difficile pour près d’un jeune sur cinq.
En comparaison des autres pays européens, cette insertion des jeunes sur le marché du travail est en effet plus faible en France. Le taux d’emploi des 15-24 ans est d’environ 30 % en France alors qu’il est de 34 % dans la zone Euro et de 48 % en Allemagne2. Cette différence s’explique, d’abord, par une participation importante des jeunes Françaises et Français de 15 à 24 ans aux études. Il s’agit cependant, et assez naturellement, d’un phénomène décroissant. En séparant les classes d’âges, les données montrent qu’à 15 ans, 90,5 % des jeunes sont en étude initiale les maintenant donc en dehors de l’emploi. Ils sont plus de 50 % sont dans cette situation à 20 ans et 10,5 % seulement à 25 ans.
Aussi, lorsqu’ils sont actifs, les jeunes Français se retrouvent plus souvent au chômage. C’est en effet le cas pour 8 % d’entre eux, contre 4 % en Allemagne. Le taux de chômage des jeunes se révèle très procyclique, c’est-à-dire qu’il est particulièrement sensible à la conjoncture économique. Une augmentation d’un point du taux de chômage pour l’ensemble de la population se traduit par une augmentation de 4 à 5 points de plus pour les jeunes. Dès lors, si la dynamique de transition entre les études et la vie active est cassée, réintégrer ces jeunes sur le marché du travail peut s’avérer particulièrement difficile. En France, ce sont finalement 1,5 million de jeunes qui font partie des NEETs en 20193, c’est-à-dire des jeunes âgés de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation continue (Not in Employment, Education nor Training). Les NEETs représentent donc 12,9 % des jeunes de 15 à 29 ans en France, soit près de 1 jeune sur 7. Ce phénomène concerne en particulier les jeunes de 25 à 29 ans, où les NEETs représentent 17,8 % des effectifs. Enfin, 13,7 % des jeunes femmes sont des NEETs, plus que les jeunes hommes (12,1 %), bien que l’écart se soit amenuisé depuis la crise de 20084.
Au-delà des coûts, un manque à gagner considérable pour l’économie française
La question du fardeau économique qu’ils constitueraient revient régulièrement dans le débat public. Dans cet esprit, deux aspects doivent être pris en compte : les coûts directs qu’impliquent les NEETs pour les finances publiques et le manque à gagner pour la croissance que représente ce vivier de jeunes hors de l’emploi s’ils étaient intégrés sur le marché du travail.
Le coût direct des NEETs est considérable. En 2011, une étude de la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) estimait ce coût à plus de 12 000 euros par NEET pour la France, au-delà de la moyenne européenne qui s’élevait à 10 651 euros. En comptabilisant l’ensemble des NEETs, le coût total était ainsi de 22,2 milliards d’euros pour l’État français, ce qui représentait 1,11 % du PIB français. A l’échelle européenne, le coût total s’élevait à 153 milliards d’euros, ce qui représentait plus de 1,2 % du PIB européen.
Plus que des coûts, le manque à gagner en termes d’activité économique est tout à fait majeur. Car les NEETs ne représentent pas qu’un coût pour l’économie, ils sont d’abord et avant tout des jeunes qui pourraient contribuer au développement de l’activité économique, en y apportant une main d’œuvre considérable et une approche nouvelle. En considérant que les jeunes sont moins bien rémunérés que les actifs en moyenne5, étant au début de leur carrière, et que les NEETs seraient réintégrés dans des emplois plutôt moins qualifiés que la moyenne, leur intégration économique permettrait un gain de croissance de 0,4 points de PIB environ. Ce résultat traduit l’ampleur de l’enjeu économique que constitue l’inclusion des NEETs sur le marché du travail. Il doit toutefois être pris avec précaution, car il mériterait d’y consacrer un modèle constitué sur plusieurs années, notamment du fait de l’hétérogénéité des NEETs.
Les NEETs : une catégorie hétérogène qui traduit différentes réalités sociales
Pour mieux appréhender l’intégration économique de ces jeunes, il convient de comprendre l’enjeu démographique et social qu’ils représentent. En 2019, 13 % des jeunes Français de 15-29 ans sont des NEETs, alors qu’ils sont 8 % en Allemagne. Bien qu’ils aient en commun de ne pas avoir d’emploi, leur comportement vis-à-vis du marché du travail peut être différent. Selon le Bureau International du Travail (BIT), 47 % d’entre eux sont au chômage. Par ailleurs, 20 % sont inactifs et désirent travailler sans pour autant répondre aux critères de disponibilité ou de recherche d’emploi leur permettant d’être considérés comme chômeurs et se retrouvent à la frontière de l’inactivité et du chômage que l’on définit comme étant le halo du chômage. Enfin, 33% d’entre eux sont inactifs et déclarent ne pas vouloir travailler pour diverses raisons (enfants, problèmes de santé, etc.)6.
La catégorie des NEETs constitue donc une population hétérogène. Pour mieux analyser cette population, nous pouvons distinguer cinq sous-catégories mises en avant par Eurofound : (1) les chômeurs « classiques » de courte et de longue durée, (2) les chercheurs d’opportunités : des jeunes en transition à la recherche d’un emploi idéal, (3) les volontaires : des jeunes se dédiant temporairement à d’autres activités (art, voyage, etc…), (4) les indisponibles : des jeunes malades, handicapés ou ayant des responsabilités familiales et (5) les désengagés : des travailleurs désengagés, des jeunes marginalisés ou délinquants, etc…
Ces différents profils vont en partie à l’encontre des préjugés selon lesquels les NEETs seraient des jeunes sans motivation et dépourvus de compétences. En effet, ces catégories mettent en évidence qu’une partie importante des NEETs sont en fait des jeunes mus par une motivation, mais pas forcément celle d’intégrer directement le marché du travail. Alors que certains ont préféré développer des projets personnels parfois mal définis ou trop peu réalistes, d’autres restent à la recherche de nouvelles opportunités ou choisissent de consacrer leur temps à leurs passions. Par ailleurs, certains font face à des discriminations régulières lors de l’embauche, ce qui les décourage à poursuivre leurs projets, en particulier en ce qui concerne les jeunes de quartier. L’intégration économique de ces jeunes demanderait plus de temps ou un meilleur accompagnement, qui doit s’opérer au niveau territorial. Enfin, le niveau de diplôme constitue un facteur important puisque près de 14 % des jeunes peu diplômés sont au chômage, contre 5 % des bacs +2. Ainsi, la question reste celle de savoir quelles compétences transmettre aux jeunes. En conclusion, l’adéquation des compétences proposées aux jeunes et l’accompagnement territorial dans leur transition vers le marché du travail se révèlent essentielles pour traiter l’enjeu des NEETs, en particulier dans les quartiers.
NEETs et quartiers prioritaires de la politique de la ville
Parmi les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV)7, la part des NEETs est 2,5 fois supérieure à celle des autres quartiers des unités urbaines englobantes. Ils y représentent en effet 26,7 % des jeunes en 2019, contre 11,3 % dans la population totale8. Comme pour les NEETs en général, le diplôme joue un rôle important : au sein des QPV, 18 % des bac+2 ou plus sont des NEETs, contre 38,6 % pour les diplômés de BEP/CAP ou équivalent.
Signe encourageant, la proportion des NEETs parmi les jeunes est en baisse entre 2017 et 2019, de 2,8 points. Une amélioration qui se traduit par différentes réalités, de la conjoncture économique aux politiques menées au niveau territorial et national. Cette dynamique reflète toutefois une forte hétérogénéité en fonction du niveau de diplôme. Entre 2018 et 2019, la part des NEETs parmi les diplômés de BEP/CAP ou équivalent en QPV a augmenté de 0,8 point de pourcentage, tandis qu’elle a diminué de 3,2 points de pourcentage pour les plus diplômés, exprimant une certaine précarité en fonction du niveau de diplômes au sein des QPV. Plus que le diplôme en soi, la question se pose également de savoir si cette discrimination ne concerne pas plus les compétences qui y sont sous-jacentes9.
La situation des NEETs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville illustre les dynamiques profondes à l’œuvre pour ces jeunes, d’un déficit de compétences adéquates à la fracture territoriale. Les politiques publiques mises en œuvre ces dernières années semblent porter leurs fruits, tant pour les NEETs en général que pour ceux des QPV. Mais la rupture dans la dynamique économique et sociale induite par la crise de la Covid-19 nous demande un nouvel effort pour poursuivre et renforcer ces politiques publiques, pour les rendre plus efficace et permettre une meilleure intégration économique des jeunes.
Compétences et territoires, les deux dimensions clés de l’inclusion économique des jeunes
Par Nathalie Chusseau et Grégory Verdugo
La situation des NEETs met en évidence que deux dimensions sont au cœur de la problématique des NEETs, les compétences et les territoires. Alors que les compétences seront les clés pour l’intégration des jeunes dans des entreprises, elles ne sont qu’en partie liées aux diplômes. La dimension territoriale, quant à elle, a le rôle clé de mettre en relation les jeunes avec les entreprises. Cette mise en relation peut être directe, par la présence d’un tissu d’entreprises locales dense et ouvert aux jeunes, ou indirecte, par la mise en relation des jeunes avec les entreprises, leur accompagnement et leur conseil.
La question des compétences
Le développement des compétences, au-delà du diplôme, est fondamental pour permettre l’insertion des jeunes sur le marché du travail, et en particulier des NEETs. Afin de mieux l’appréhender, il convient de définir les compétences ici à l’œuvre, d’identifier celles qui peuvent améliorer l’intégration des jeunes en entreprises dans le contexte actuel et, enfin, d’identifier les acteurs et dispositifs clés pour permettre cette inclusion.
De quelles compétences parlons-nous ?
Les compétences transversales, ou soft skills, sont devenues essentielles au recrutement des entreprises. On entend par soft skills des savoir-être indispensables pour une insertion sur le marché du travail. Elles recouvrent des compétences comportementales (arriver à l’heure, avoir confiance en soi, savoir se présenter, se valoriser, se concentrer, gérer le stress…), et sociales (prise de parole en public, capacité à travailler en groupe, à faire du lien avec les autres, gestion du temps, aisance sociale, courtoisie, coopération, capacité à créer et mobiliser un réseau, empathie, persuasion, négociation, gestion des conflits, capacité à déléguer, leadership,…). Un troisième niveau regroupe des compétences remarquables (capacité à résoudre des problèmes compliqués et capacités d’adaptation).
De fait, les compétences comportementales sont une clé indispensable à l’embauche. En effet, 60 % des employeurs estiment que les compétences comportementales sont plus importantes que les compétences techniques. Elles constituent des compétences socles dont l’acquisition est une condition essentielle à la construction du parcours d’un actif. Sans elles, il ne peut y avoir de retour ou d’insertion durable sur le marché du travail, et elles constituent en cela un passeport indispensable pour l’emploi.
En outre, les soft skills sont un véritable avantage comparatif pour ceux qui les détiennent dans un contexte de forte mutation technologique car elles ne sont pas automatisables. Elles constituent des compétences pérennes dans un environnement d’obsolescence généralisée de la technique.
Ainsi, les trois premières compétences comportementales attendues par les employeurs sont la « capacité à s’organiser, prioriser les taches » (pour 98 % des sondés), « la capacité d’adaptation » (à 94 %) et la dernière du podium est « l’autonomie » (pour 93 % des employeurs interrogés)10.
Enfin, ces compétences sont complémentaires de compétences spécifiques requises dans les secteurs faisant face à des pénuries de main d’œuvre : hôtellerie-restauration, BTP, services à la personne (aide à domicile, personnel soignant…), secteur industriel avec des compétences très spécifiques (tourneur-fraiseur…).
Vers quelles compétences s’orienter face à la polarisation des emplois ?
Il faut tout d’abord rappeler que les compétences auxquelles on doit former les jeunes dépendent de la demande sur le marché du travail, qui dépend elle-même du niveau d’études du public à recruter.
Une récente étude de la DARES11 présente les cinq métiers en 2018 qui comptent la part la plus élevée de jeunes sortants (personnes en emploi de moins de 35 ans ayant terminé leurs études initiales depuis un à quatre ans). Ces métiers concernent les professionnels de l’action culturelle et sportive, les employés de l’hôtellerie-restauration, les ingénieurs de l’informatique, les vendeurs, et les ouvriers non qualifiés de la manutention. Il apparaît que les secteurs qui emploient le plus de jeunes varient avec le diplôme : métiers de service pour les non diplômés (ouvriers non qualifiés dans la manutention), métiers « de bouche » pour les CAP-BEP (bouchers, charcutiers, boulangers) métiers de la santé pour les bacheliers (aides-soignants). Les titulaires du bac ou du brevet professionnel se retrouvent surtout parmi les professionnels de l’action culturelle, et les employés et agents de maîtrise de l’hôtellerie-restauration. On observe un développement des recrutements à bac+3 sur les professions d’infirmiers et d’infirmières, techniciens et techniciennes de l’informatique, techniciens et techniciennes de la banque et des assurances. C’est donc vers ces métiers qui recrutent qu’il faut orienter les compétences des jeunes relativement à leur niveau d’études initial.
Un enjeu crucial concerne l’insertion sur le marché du travail du million et demi de jeunes NEETs, ces jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation initiale ou professionnelle. Pour cela, il est nécessaire de développer des formations courtes, spécifiques et adaptées au besoin des secteurs faisant face à des pénuries de main d’œuvre. En outre, dans un monde en constante évolution technologique, il faut un minimum de compétences numériques et des capacités d’adaptation indispensables à une insertion durable sur le marché du travail.
Quels acteurs et quels dispositifs pour favoriser la montée en compétences et la valorisation de ces dernières ?
Les entreprises et les pouvoirs publics jouent un rôle crucial avec le développement de l’apprentissage et des écoles de production. Entreprise en 2018, la réforme de l’apprentissage avait pour objectif de favoriser le parcours des jeunes suivant des formations de niveau bac et infra-bac pour répondre aux besoins de recrutement dans ces métiers. Cette dernière a eu des conséquences très positives : on dénombre 525 000 contrats d’apprentissage signés en 2020 contre 353 000 en 2019 et 317 000 en 2018, soit un record historique. Une dynamique qui a pu être maintenue en 2020 grâce au versement d’une prime généreuse de 5 000 euros pour un mineur et de 8 000 euros pour un majeur. La réforme a également permis aux entreprises comme Accor, Korian, Sodexo, Schneider Electric ou encore Adecco d’ouvrir leur propre CFA. Ces créations s’observent dans tous les territoires de France. Au plus près des besoins des entreprises, ces CFA permettent d’anticiper les nouvelles compétences liées à la transformation numérique qui impactera près de 50 % des emplois qualifiés ou pas.
Créées au XIXe siècle sous l’impulsion d’entreprises qui peinent à recruter localement des jeunes, les écoles de production forment les jeunes de 15 à 18 ans en échec scolaire aux gestes de base de l’industrie et aux dernières technologies numériques, dans différentes filières industrielles, de l’usinage à la chaudronnerie en passant par l’assemblage automobile.
Alors que l’on compte aujourd’hui 35 écoles de production différentes, le gouvernement a récemment annoncé la création de 34 nouveaux établissements de ce type d’ici 2024, dans le cadre du programme Territoires d’Industrie.
Des territoires discriminés
Alors que les compétences représentent un premier levier majeur pour l’inclusion économique des jeunes, le rôle des territoires, de leur mixité professionnelle, sociale et ethnique, est également essentiel, en particulier concernant l’intégration économique des jeunes de quartiers prioritaires de la politique de la ville. Comprendre la dynamique des territoires demande à regarder plus en détails l’importance des fractures territoriales, ainsi que l’évolution de la ségrégation.
Des fractures territoriales majeures
Face à l’emploi, les inégalités entre territoires sont spectaculaires. Vivre dans certains quartiers est associé à la fois à des salaires plus faibles et un risque élevé de chômage de longue durée, auquel se rajoute une moins bonne qualité des infrastructures locales, notamment des écoles, les enseignants les moins expérimentés étant souvent en poste dans les quartiers les plus difficiles. Les origines des fractures territoriales sont variées : pour l’emploi, certains quartiers sont maintenant distants des lieux où se créent aujourd’hui les emplois. La moindre diversité de la composition sociale et donc des réseaux des quartiers en difficulté peut également freiner l’intégration économique : lorsque les entrepreneurs sont rares dans la population, les réseaux d’entraide qui jouent un rôle majeur dans l’accès à l’emploi, sont moins efficaces.
A ces barrières se rajoute un risque de discrimination en fonction du quartier d’origine que des travaux récents ont mis en évidence. Si la plupart des discriminations que rencontrent les individus sont liées à leurs caractéristiques personnelles, tels le genre et l’origine, le quartier, quand sa réputation est mauvaise, peut jouer un rôle additionnel, les employeurs écartant des candidats de quartiers difficiles qui sont supposés avoir reçu une moins bonne formation ou avoir des comportements professionnels moins appropriés. Cette discrimination basée sur l’origine géographique est d’ailleurs en partie ressentie par les habitants de ces quartiers. En 2012, 19 % des demandeurs d’emploi des Zones Urbaines Sensibles (ZUS)12 indiquaient ressentir que leur origine géographique rendait leur recherche d’emploi plus difficile13.
Pour la France, des articles de recherche appliquée utilisant des méthodes de testing ont mis en évidence un effet spécifique de la réputation du quartier d’origine sur l’accès à l’emploi ou l’accès au marché locatif résidentiel. Dans un testing, deux candidats postulent à la même offre d’emploi ou annonce de logement à louer. Comme ces candidats ne diffèrent que par leur quartier et que leurs autres caractéristiques sont identiques, la comparaison des taux de réponse des employeurs selon le quartier de résidence permet d’inférer la présence de discrimination.
Des travaux menés notamment par M. Bunel14 montrent ainsi que, pour les emplois de serveurs ou de cuisinier dans la région parisienne, provenir d’un quartier prioritaire de la ville diminue entre 5 et 10% la probabilité d’être rappelé pour un entretien. Ces travaux évaluent les discriminations dans la possibilité de visiter un logement à louer, qui a une importance cruciale pour la mobilité économique, la mobilité géographique étant une condition indispensable à une meilleure insertion économique. Contrairement à l’apport de M. Bunel qui ne considère que l’effet du quartier sur la discrimination, des travaux présentés notamment par F. Bonnet15 font varier en même temps l’origine du candidat. De manière intéressante, pour les candidats provenant de quartiers sensibles, l’effet du quartier d’origine domine celui de l’origine personnelle. En effet, lorsqu’ils comparent les candidats de quartiers sensibles selon leur origine, ils n’observent pas de discrimination supplémentaire pour les candidats d’origine maghrébine relativement aux autres. Même si ces résultats restent à confirmer par d’autres études et dans d’autres contextes, ils suggèrent que les discriminations liées au quartier d’origine peuvent former une barrière à la mobilité majeure.
Une évolution ambivalente de la ségrégation
Si vivre dans un quartier sensible peut jouer négativement sur l’assimilation, il est important de savoir comment évolue la ségrégation résidentielle, notamment celle des Français originaires de la plus récente immigration non-européenne qui ont le plus de chance d’être discriminés sur le marché du travail et dont les difficultés d’accès à l’emploi ont été mises en évidence16. Il n’est hélas actuellement pas possible de répondre précisément à cette question, les données sur l’origine pour les secondes générations n’étant pas collectées dans le recensement de la population. On peut néanmoins avoir une idée de l’évolution de la ségrégation en regardant comment a évolué la ségrégation des immigrés de première génération. Les études récentes pointent une évolution contrastée sur les deux dernières décennies17. D’un côté, l’immigration récente non-européenne s’est largement diffusée et est présente dans un plus grand nombre de quartiers, et notamment des quartiers ayant relativement peu d’immigrés ce qui diminue la ségrégation. D’un autre côté, la proportion d’immigrés dans des quartiers les plus concentrés a clairement augmenté au cours des dernières décennies, comme le suggère la montée de la problématique des quartiers sensibles dans le débat public. De plus, les effectifs de l’immigration non-européenne ont aussi largement augmenté, et les vagues d’immigrés récentes vivent avec plus d’immigrés dans leur quartier.
Les travaux menés avec S. Toma17 montrent que l’évolution de la population des HLM et de la distribution des HLM entre quartiers est un facteur primordial façonnant la ségrégation des immigrés non-européens puisqu’environ la moitié des ménages immigrés non-européens vivent dans des logements sociaux. L’augmentation de la part de quartiers concentrés reflète ainsi largement l’évolution de la population des grands ensembles HLM construits lors des années 1960 et 1970.
Propositions
A partir du diagnostic que nous avons établi, nous pouvons émettre des recommandations pour favoriser l’inclusion économique des NEETs, en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ces recommandations portent naturellement sur les deux dimensions que nous avons mises en évidence : les compétences et les territoires. Par ailleurs, elles visent à prolonger, compléter, adapter les politiques publiques déjà à l’œuvre afin d’en améliorer l’efficacité et la pertinence vu le contexte.
Axe 1 : Développer et mobiliser les bonnes compétences
PROPOSITION 1 : Poursuivre le développement des écoles de la deuxième chance et des EPIDE
L’objectif concerne la mise en œuvre d’une politique de formation ambitieuse à l’échelle des territoires pour disposer d’ouvriers qualifiés ou très qualifiés. Il s’agit également de former aux compétences liées à la transformation énergétique et à la robotisation.
Les écoles de la deuxième chance et les EPIDE ont prouvé leur efficacité à travers un accompagnement personnalisé, un encadrement très présent, et la définition d’un projet personnel et professionnel qui ouvre les perspectives d’avenir de ces jeunes.
Du point de vue des compétences comportementales, les écoles de la deuxième chance permettent ainsi de redonner un cadre aux décrocheurs, issus notamment de milieux défavorisés, en mettant en avant le sens de l’effort et la rigueur. Les expériences montrent que lorsqu’on est en commun, avec des règles communes, on peut acquérir plus facilement les compétences comportementales de niveau 1. Le coût par tête est conséquent mais l’efficacité est prouvée. Il faudrait multiplier ces établissements sur le territoire et en particulier sur les territoires où le nombre de NEETs est le plus important, en Hauts-de-France par exemple, qui comptent 200 000 NEETs.
Toutes ces mesures sont très efficaces mais insuffisantes au regard de l’ampleur démographique des NEETs. Elles nécessitent par ailleurs des investissements conséquents publics ou privés. A titre d’exemple, pour une école de production à vocation industrielle, il faut compter en effet en moyenne entre 0,5 et 1,2 million d’euros pour le seul achat des machines en panachant entre équipements traditionnels et de pointe. En termes de bénéfices, elles génèrent des bénéfices évidents à court et long termes : augmentation du taux d’emploi, réduction des déficits sociaux, hausse du bien-être des jeunes ainsi qu’un renforcement de la cohésion sociale.
PROPOSITION 2 : Etablir une évaluation ex post du revenu d’engagement
Le revenu d’engagement annoncé par le Président Emmanuel Macron en juillet 2021 a pour objectif de permettre aux associations, entreprises, missions locales, pôle emploi d’accompagner les jeunes vers une formation. Dans ce dispositif, 500€ d’allocation mensuelle sont versés en contrepartie d’un engagement à suivre une formation. L’avantage essentiel de cette mesure est qu’elle va probablement inciter les potentiels bénéficiaires, les NEETs, à se faire connaître, alors que les services de l’Etat ont du mal à les identifier et à aller les chercher pour les accompagner.
Il faudra développer une évaluation ex post de cette mesure et procéder à un réel suivi des bénéficiaires 3 mois, 6 mois, un an et deux ans après la sortie du dispositif pour avoir une idée de son efficacité. Un tel suivi de cohortes est absolument nécessaire pour évaluer l’efficacité des différents dispositifs d’insertion (garantie jeunes, revenu d’engagement…). En outre, l’obligation de formation pour tous les jeunes de 16 à 18 ans devrait faciliter l’identification de ce public cible.
Il faut toutefois souligner qu’un revenu d’engagement de 500 euros correspond à peu près à ce que perçoit un apprenti en première année. Or, il ne faut pas décourager l’apprentissage avec un montant qui serait désincitatif. Il conviendra donc, en parallèle, de revaloriser l’apprentissage.
PROPOSITION 3 : Etendre le revenu d’engagement aux activités associatives
Parmi les adultes, le RSA accompagné d’une expérience associative permet aux allocataires de reprendre confiance, d’accepter les règles de l’entreprise et de la vie au travail (arriver à l’heure par exemple), et ainsi retrouver un emploi et surtout le garder sur le long terme. Lors de sa création, l’ambition du RMI (Revenu Minimum d’Insertion) était d’insérer au plus vite ces allocataires. Il faut renouer avec cette volonté en rendant « obligatoire » la participation des allocataires à des activités bénévoles.
Concernant les NEETs, le revenu d’engagement devrait ainsi être étendu à la pratique d’activités associatives, pas forcément rémunérées mais contraignantes. La proposition du revenu d’engagement faite par le gouvernement d’assurer l’intégration économiques des jeunes par la formation est pertinente, mais peut ne pas convenir à l’ensemble des jeunes. Proposer de s’impliquer dans des associations peut permettre une expérience plus proche de celle d’un travail au sens classique du terme, et ainsi les aider à acquérir les clés et l’expérience pour intégrer le marché du travail par la suite.
PROPOSITION 4 : Mobiliser le Compte personnel de formation dans une logique globale de formation
Le Compte Personnel de Formation (CPF) apparaît comme un outil clé pour la montée en compétences des salariés. Instauré en 2015 et profondément réformé en 2019, le CPF est un outil de carrière très intéressant. Pour certains publics déjà formés, il peut être un outil important pour développer ses compétences remarquables à travers le financement de stages développant l’esprit d’équipe et le travail collaboratif par exemple. Le risque néanmoins pour une entreprise est de voir un salarié formé partir chez un concurrent. Il ne faut pas que ce risque devienne un frein à la formation. Les entreprises doivent au contraire y voir une opportunité de réciprocité, car elles peuvent aussi récupérer un salarié formé dans une autre entreprise appartenant à la même branche.
Il faut donc développer une logique globale de la formation, et non une vision individuelle. Les entreprises doivent se mettre d’accord sur des compétences globales à avoir au niveau de la branche pour inciter leurs entreprises à les développer auprès de leurs salariés.
Axe 2 : Résorber les fractures territoriales
PROPOSITION 5 : Permettre aux habitants des quartiers sensibles d’avoir accès à une formation de qualité
Si les employeurs discriminent les candidats des quartiers sensibles car ils supposent que la qualité de leur formation est inférieure, notamment parce que les enseignants des quartiers sensibles sont souvent aussi les moins expérimentés, une solution claire est de continuer à diminuer les disparités territoriales de qualité de la formation. Les politiques donnant plus de moyens aux établissements des quartiers sensibles ou renforçant les incitations aux enseignants les plus expérimentés à rester dans les établissements des quartiers sensibles sont à poursuivre.
PROPOSITION 6 : Faciliter le fonctionnement du marché du logement afin de favoriser la mobilité
Contrairement à ce que l’on peut penser, la population des quartiers sensibles se renouvelle en partie rapidement19. Néanmoins, les discriminations sur le marché du logement français sont importantes20 et les résultats des travaux présentés notamment par F. Bonnet21 suggèrent que les barrières sont encore plus hautes pour les habitants des quartiers sensibles. La France protégeant fortement les locataires, les bailleurs demandent de nombreuses garanties aux locataires potentiels, comme une caution ou exigent d’être employé en CDI. Ces demandes freinent l’accès au parc privé et la mobilité, et probablement augmentent la discrimination entre locataires lorsque l’emploi de certains groupes est plus instable. Un marché du logement locatif plus flexible permettrait d’améliorer les transitions sur le marché du travail22, et auraient un effet encore plus bénéfique pour les habitants des quartiers sensibles.
PROPOSITION 7 : Utiliser le logement social pour diminuer la ségrégation
Etant donné l’importance du parc HLM dans l’évolution de la ségrégation spatiale des immigrés et donc vraisemblablement des minorités, il est essentiel de continuer de préserver la mixité dans les HLM dans toutes ces dimensions, qu’elle soit sociale ou par origine et d’utiliser les constructions nouvelles pour continuer à diminuer la concentration des HLM dans les mêmes quartiers.