" Osons un débat éclairé "

Les nouvelles voies de la démocratie


Coordination : Vincent Pons, membre invité du Cercle des économistes

Contributions : Abdelrahim Ali, Al-Bawaba newspaper, Marylise Léon, CFDT, Chloé Morin, POLLitics et Societing, Ileana Santos, Je m’engage pour l’Afrique, Juhana Vartiainen, Maire d’Helsinki, Finlande

Modération : Isabelle de Gaulmyn, La Croix


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Propos introductif de Vincent Pons, membre invité du Cercle des économistes

Nous avons intitulé cette session « Les nouvelles voies de la démocratie » parce que la démocratie est aujourd’hui dans l’impasse. Après deux siècles et trois vagues successives de démocratisation au niveau mondial, la démocratie est en recul. Il suffit de regarder des pays comme la Turquie, la Hongrie, l’Inde, où les droits de l’opposition sont régulièrement bafoués. Lors de la dernière élection en Turquie, le candidat opposé à Erdogan a eu cinquante fois moins de temps d’antenne. De façon plus générale, dans ce pays, les institutions démocratiques sont affaiblies.

Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que les démocraties les plus anciennes, dont on pensait qu’elles étaient les plus solides, comme la France et les États-Unis, sont marquées par un certain nombre de failles. Nous connaissons ces failles. Il s’agit de la baisse de la participation électorale, la défiance croissante envers les élus, la montée du vote populiste et la multiplication des mouvements sociaux.

Le sujet n’est pas seulement politique, car quand la démocratie va mal, c’est toute l’activité et la croissance qui sont menacées. Le lien entre la démocratie et l’activité économique est évident. Lorsque vous êtes dans un contexte de très forte défiance par rapport aux élus, il est très difficile pour les élus de mettre en œuvre des réformes, d’avoir un débat serein sur les politiques à mener. Lorsque des partis populistes qui proposent des solutions extrêmes risquent de remporter la victoire, ils peuvent nous emmener sur une voie dont on ne revient pas, comme une sortie de l’Union européenne et une déconstruction de l’Europe.

Le problème, c’est que nous nous sentons démunis face à ces menaces et ces failles qui s’immiscent dans nos démocraties. Pourquoi ? D’abord, parce que les tendances que j’évoquais, comme la baisse de la participation, remontent pour certaines aux années 1970. Ensuite, parce que ce sont des phénomènes qui n’affectent pas seulement la France, mais la plus grande partie des démocraties occidentales. Nous sentons bien qu’il existe des causes très profondes. Enfin, parce que la démocratie semble ne pas offrir de prise facile. Il s’agit d’un exercice dans lequel on délègue la décision à des dizaines de millions de citoyens.

Pour ces différentes raisons, il est difficile d’identifier des remèdes. Pourtant, c’est bien à ce propos que nous attendons nos intervenants. Les questions suivantes leur sont posées : Quels sont les remèdes possibles pour que la démocratie aille mieux ? D’où pouvons-nous espérer que la solution arrive ? S’agit-il des nouvelles politiques publiques, des élus, des corps intermédiaires, des entreprises ? J’ouvre le débat et nous attendons des réponses concrètes de chacune et chacun d’entre vous.

Synthèse

La population africaine est aujourd’hui principalement composée de jeunes, elle est confrontée à des défis climatiques et économiques. Un tiers de la jeunesse mondiale sera africaine d’ici 2050. L’enjeu consiste à créer un espace de démocratie en Afrique et dans le monde, constate Ileana Santos. Et cela dans un contexte de lien distendu entre les institutions et les citoyens, mais aussi d’envie d’agir. Il s’agit d’abord de miser sur la jeunesse en Afrique, à travers la formation, l’emploi et des partenariats public-privé, pour qu’elle participe au débat public et qu’elle s’occupe de missions locales. Il est ensuite nécessaire de réinventer la démocratie en passant par de nouvelles modalités d’action et la multiplication des espaces et outils de dialogue, y compris par la formation et un accompagnement par des structures africaines sur le continent et par la diaspora en France. Un travail doit enfin être mené dans le domaine des nouvelles technologies, telles que la blockchain qui a permis de sécuriser les élections au Kenya.

Il est nécessaire de réfléchir collectivement à un ensemble de solutions pour défendre la démocratie, qui est un préalable à l’émancipation, la solidarité et l’égalité et donc à l’existence du syndicalisme, affirme Marylise Léon. La démocratie est moins malade de ses institutions que de son fonctionnement. Trois remèdes sont identifiés. Il s’agit de débattre, de respecter les acteurs et leur pluralité, de rechercher des compromis durables, d’accepter les contrepouvoirs et le partage du pouvoir, pour se diriger vers l’intérêt général. Puisque les démocraties sont plurielles, il existe plusieurs acteurs faisant vivre les démocraties citoyennes, représentatives, politiques et sociales, dont les articulations doivent être repensées, en tenant compte des nombreuses personnes représentées par ces acteurs. Dans l’entreprise et l’administration, il est nécessaire de considérer le travailleur en tant que citoyen en lui offrant des espaces d’expression et de dialogue pour qu’il puisse parler de son travail. Cela suppose aussi un dialogue économique, social et environnemental de qualité dans les lieux stratégiques.

Le système nordique européen, composé d’une forte économie de marché et d’un État-providence, permet d’adoucir le capitalisme, mais n’est pas suffisant du point de vue démocratique et politique, rappelle Juhana Vartiainen. Les problèmes actuels doivent être pensés à travers le prisme de la démographie en tenant compte de la tendance à l’immigration, qui crée un malaise politique et une montée du nationalisme en Europe.

Certaines sociétés démocratiques ont permis à des mouvements terroristes islamistes d’y pénétrer et d’y imposer leurs idées, sans respecter les valeurs d’expression et d’égalité, explique Abdelrahim Ali. La démocratie en Europe et notamment en France représente un danger de ce point de vue. Ces mouvements exploitent les cerveaux de certaines personnes immigrées pacifistes, qui deviennent leurs marionnettes. Le printemps arabe n’a pas permis de faire avancer la démocratie dans les pays arabes mais a visé leur implosion, tandis que la terreur dominait. Les événements tragiques récents (émeutes) risquent de s’intensifier à l’avenir en France et en Europe, où il est nécessaire d’appliquer des restrictions et des contrôles.

Juhana Vartiainen souligne alors qu’une solution passe par l’introduction de la démocratie locale dans les projets d’aménagement du territoire, pour favoriser les échanges entre les populations et éviter la ségrégation dans les banlieues, qui est le résultat non prévu des politiques menées en Suède et en France dans les années 1960.

L’État-providence n’est pas menacé par la mondialisation ou les migrations, estime Marylise Léon. Il existe cependant des tensions géopolitiques et un affrontement entre des projets de société différents. L’ouverture d’espaces intermédiaires permettra de renforcer la démocratie, mais aussi l’État, la cohésion sociale reposant sur les acteurs de la société civile qui ont besoin d’être soutenus et écoutés.

L’État-providence nordique, qui a été créé par la mondialisation puisque le libre-échange aboutit à la prospérité mais aussi à l’incertitude et au besoin d’une assurance sociale, est menacé par l’évolution démographique qui limitera les services publics, indique Juhana Vartiainen.

L’image des élus et les conditions d’exercice des fonctions politiques se dégradent en France, constate toutefois Chloé Morin. Les élus locaux ne sont pas indemnisés à la hauteur de leur engagement pour les autres, sont soumis à la tyrannie de la transparence s’étendant à leur vie privée et font régulièrement l’objet de violences. Or, cette fonction est indispensable pour la prise de décisions et doit donc rester attractive pour assurer un pluralisme permettant une bonne représentation de la société. Des progrès ont été faits, notamment dans le domaine législatif pour vérifier l’emploi de l’argent public. Il est nécessaire d’augmenter la rémunération des élus locaux, d’assouplir les règles de non-cumul des mandats pour assurer une pluralité de profils au Parlement, de limiter la judiciarisation de la vie politique, de réfléchir à l’utilité de la publication des patrimoines privés des élus qui sont contrôlés par ailleurs, de faciliter le retour à l’emploi des élus pour éviter qu’ils ne s’accrochent à leurs mandats et ne se coupent de la société, et d’appliquer les sanctions prévues en cas de violences envers les élus et indirectement les citoyens qu’ils représentent.

Si la mondialisation s’est accompagnée de progrès, y compris sociaux, dans de nombreux pays, des outils de régulation adaptés à l’époque actuelle sont nécessaires, répond Marylise Léon. Par exemple, le devoir de vigilance consistant à identifier la responsabilité entre donneurs d’ordre et sous-traitants a été mis en place après l’effondrement du Rana Plaza et a rencontré depuis un succès. Le syndicalisme international doit en outre et prioritairement lutter contre le travail dissimulé, en tenant compte des situations différentes suivant les pays.

Pour améliorer les politiques publiques et aboutir à une Afrique excellente et performante, il est important de passer par les réseaux sociaux pour que les citoyens soient écoutés et d’assurer un suivi des projets aux actions concrètes en les formant, explique Ileana Santos.

Le temps législatif et administratif entre les annonces et les actions est long et passe par de nombreux filtres, ce qui contribue à déformer la décision politique et délégitimer les politiques, indique Chloé Morin. Les politiques, notamment les ministres, devraient davantage consacrer leur énergie à veiller à la bonne exécution de leurs décisions, tout en tenant compte du contexte administratif. Les élus sont en très grande majorité intègres et affirmer le contraire en généralisant à partir de quelques cas est une manière de se dérober de sa responsabilité de citoyen.

Alors que la démocratie est remise en cause dans certains pays du Sud, il n’existe pas de bon ou mauvais modèle de démocratie, précise Ileana Santos. La démocratie doit répondre aux critères de responsabilité et de mobilisation et permettre, en Afrique, de donner de l’emploi, d’être autosuffisant, d’assurer les soins nécessaires et de trouver sa place dans la société.

Les débats ont un rôle central dans la vie démocratique, conclut Vincent Pons. Les discussions sont importantes pour se décider à aller voter, former son opinion et diminuer sa défiance face à d’autres groupes. Les partis politiques et les entreprises ont un rôle à jouer en ce sens.

 

Propositions

  • Débattre, respecter les acteurs et rechercher des compromis durables, repenser les articulations entre les démocraties citoyennes, représentatives, politiques et sociales, et offrir aux employés des espaces d’expression (Marylise Léon).
  • Miser sur la jeunesse en Afrique, réinventer la démocratie via de nouvelles modalités d’action et la multiplication des espaces et outils de dialogue, et s’appuyer sur les nouvelles technologies (Ileana Santos).
  • Favoriser la démocratie locale dans les projets d’aménagement du territoire (Juhana Vartiainen).
  • Augmenter la rémunération des élus locaux, assouplir les règles de non-cumul des mandats, limiter la judiciarisation de la vie politique, réfléchir à l’utilité de la publication des patrimoines privés des élus, faciliter le retour à l’emploi des élus et appliquer les sanctions prévues en cas de violences envers les élus (Chloé Morin).

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