" Osons un débat éclairé "

Session spéciale Jeunesse(s)


Coordination : Philippe Aghion, membre du Cercle des économistes

Contributions : Antoine Jochyms, Open Politics, Jasmine Manet, Youth Forever, Élisabeth Moreno, Cheffe d’entreprise et ancienne Ministre, Claire Pétreault, Les Pépites Vertes, Jean-Dominique Senard, Groupe Renault, Axel Sengenès-Cros, Croix-Rouge France Jeunesse


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Propos introductif de Philippe Aghion, membre du Cercle des économistes

Il était inconcevable de parler d’espoir sans impliquer les jeunes et sans écouter ce qu’ils ont à dire, puisqu’ils représentent l’espoir et le futur.

Les Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence ont lancé cette année un dispositif exceptionnel et inédit : le projet Jeunesse(s)[1]. Plus de 35 000 jeunes ont participé à une conversation nationale de février à mars 2023 autour de quatre thématiques essentielles : le travail et la formation, la santé et le bien-être, la démocratie et la citoyenneté, l’environnement. Ces thématiques vous seront présentées par quatre rapporteurs : Axel Sengenès-Cros, responsable national de la Croix-Rouge Jeunesse ; Claire Pétreault, fondatrice des Pépites Vertes (entreprise à impact média à destination des jeunes professionnels de la transition écologique) ; Jasmine Manet, entrepreneure engagée et co-fondatrice de l’ONG Youth Forever ; Antoine Jochyms, fondateur d’Open Politics (formation gratuite et apartisane à l’engagement politique). Nous avons la chance d’avoir avec nous Élisabeth Moreno et Jean-Dominique Senard pour dialoguer avec eux.

Synthèse

Dans le cadre de l’étude Jeunesse(s), 35 000 jeunes ont été interrogés sur leur santé, leur bien-être et leur épanouissement, indique Axel Sengenès-Cros. L’analyse de leurs réponses a permis de dégager une proposition clé : promouvoir la pratique du sport à travers l’introduction d’une unité d’enseignement libre au sein de l’ensemble des structures universitaires françaises. L’accompagnement des jeunes passe par le renforcement de leur pouvoir d’achat pour leur donner accès à des logements salubres, à une alimentation saine, à des activités associatives ou sportives, à une vie sociale épanouissante et surtout aux droits de santé. L’enjeu est de prendre en compte leurs urgences (santé mentale, rapport au numérique, rapport au corps). Les jeunes ne doivent pas seulement être bénéficiaires d’une prestation, mais être accompagnés dans leur développement en tant qu’acteurs de leur propre insertion professionnelle et sociale. Les dirigeants et décideurs sont appelés à questionner leurs pratiques d’accompagnement par rapport à la santé des jeunes.

Le sport inculque un sens de la concurrence saine qui pourrait être développé dans le système éducatif, préconise Philippe Aghion. Il se dit favorable au revenu étudiant-jeune, avec accompagnement.

La meilleure forme de compétition consistant à se dépasser soi-même, le système scolaire devrait s’en inspirer davantage pour permettre aux jeunes de développer leurs compétences, souligne Élisabeth Moreno.

Un problème d’obésité chez les jeunes commence à apparaître en France, signale Jean-Dominique Senard. Il doit être traité rapidement, notamment à travers le sport. Partout dans le monde, les écoles ou universités sont connues à travers leurs équipes sportives. Tel n’est pas le cas en France. Dans le monde étudiant comme dans le celui de l’entreprise, considérer que la réussite individuelle passe par la réussite de l’autre permet d’atteindre un épanouissement certain.

L’enjeu est de créer les conditions d’emploi et de formation permettant aux jeunes de s’engager au sein des organisations politiques et économiques, estime Jasmine Manet. Il est proposé au gouvernement de rendre obligatoire la publication des informations clés relatives à l’insertion professionnelle des jeunes (emplois potentiels, durée de la recherche d’emploi, rémunération, qualité de vie au travail, attractivité des filières). Les jeunes devront être accompagnés dans les lycées pour prendre une décision éclairée. L’étude a montré qu’ils ressentent un décalage entre la vie étudiante et la vie active. Les organisations politiques et économiques devront le réduire. La jeunesse a besoin d’emploi, de sécurité, de reconnaissance, de transparence, d’autonomie, de rémunération. Elle s’engagera au sein des organisations, notamment des entreprises, à condition d’être écoutée, formée et positionnée au cœur des transitions à venir.

À l’étranger, la qualité des cours est évaluée et des informations relatives aux débouchés des formations ou filières sont fournies, ajoute Philippe Aghion. Cette culture de l’insertion n’existe pas en France : ces informations devraient être publiques.

L’innovation et les révolutions technologiques nécessitant de nouvelles compétences que les entreprises ne trouvent pas directement, celles-ci sont amenées à créer leurs propres universités en s’associant aux établissements d’enseignement supérieur en région, affirme Jean-Dominique Senard. Les besoins seront publiés, mais il faut former les jeunes à des compétences qui seront utiles dans cinq ou dix ans. Si la notation existe déjà en pratique sur les réseaux sociaux, elle ne doit pas se faire en tant que consommateur ou usager. En matière de formation et de besoin, une marche est en train d’être franchie et une situation nouvelle s’annonce.

L’information permet une sélection par l’orientation et non par l’échec, considère Philippe Aghion.

Selon l’étude Gallup sur l’engagement au travail[2], la France arrive en 36e position sur 38 pays consultés, constate Élisabeth Moreno. La question de l’orientation est absolument critique. Les personnes appelées à guider les jeunes au plus proche de leurs aspirations professionnelles doivent être très solidement formées, sans quoi un raté colossal est à prévoir.

L’étude Jeunesse(s) a montré que la place accordée aux jeunes dans le monde politique est insuffisante pour trois quarts des 18-30 ans et que 83 % des jeunes (soit 8 jeunes sur 10) ne s’y sentent pas représentés, déplore Antoine Jochyms. Pourtant, la jeunesse française est engagée dans le monde associatif. Pour qu’elle le soit dans le monde politique, il faut lui en laisser la place. Il est proposé d’instaurer un quota de jeunes en position éligible aux élections municipales, lequel serait proportionnel au nombre de jeunes habitants. Permettre demain à de jeunes adjoints au maire ou conseillers municipaux de représenter d’autres jeunes et leur donner voie au chapitre institutionnel, politique et démocratique du pays recréera de l’espoir.

Philippe Aghion demande comment pousser des jeunes à la fois compétents et capables de dialoguer avec la société civile à s’engager politiquement, tout en générant un renouveau des partis politiques.

Les jeunes sont extrêmement engagés et davantage que la génération les ayant précédé, estime Élisabeth Moreno. Ils se saisissent de plus en plus d’enjeux majeurs (climat, injustices sociales), ont une conscience exacerbée et l’envie de faire changer les choses. La jeunesse inspire beaucoup d’espoir et de confiance. Si ce qui existe aujourd’hui ne lui convient pas, elle doit inventer le monde de demain dont elle héritera. Cela passe nécessairement par l’engagement en politique ou dans la société civile. Le Parisien a mis en une quatre hommes pour illustrer un article sur le monde de demain[3]. Aucune femme, aucun jeune. Pour que les médias reflètent ce que les jeunes souhaitent voir demain, il appartient à ces derniers de l’écrire.

En tant que Président de la fondation Renault, Jean-Dominique Senard atteste de l’engagement associatif des jeunes. En tant que chef d’entreprise, il a publié une charte pour permettre à tous salariés de s’engager en politique tout en les protégeant à leur retour en cas d’expérience difficile. Il entendait offrir aux salariés du privé les mêmes possibilités qu’aux fonctionnaires. S’agissant des quotas, ils ne sont qu’une jambe de bois. La solution consiste à donner envie aux jeunes. Le monde politique renvoie une image qui ne correspond pas à l’engagement des personnels politiques. Ces derniers doivent être protégés face aux assauts permanents des médias et avoir les moyens d’agir dans la sérénité.

Si 9 jeunes sur 10 se disent inquiets pour le climat et pour le futur, seuls 17 % affirment avoir un quotidien engagé, constate Claire Pétréault. Le Lab environnement a réfléchi avec les membres du Cercle à une solution qui permettrait de dépasser l’anxiété et de passer à l’action. Il propose de rendre obligatoire à partir de 18 ans un service citoyen pour former les jeunes aux défis climatiques et environnementaux, et qu’ils sensibilisent ensuite les élèves des écoles primaires. Le sujet intergénérationnel est au cœur du projet Jeunesse(s) et les enjeux environnementaux appellent un pacte intergénérationnel. La jeunesse ne détient pas la solution pour sauver la planète, mais il n’est maintenant d’autre choix que d’agir ensemble : la seule génération qui compte est celle des gens vivants aujourd’hui et qui peuvent agir pour demain.

Les consommateurs ont un rôle majeur à jouer pour détecter les entreprises vertueuses et faire jouer la concurrence en faveur de la production ou de l’innovation verte, souligne Philippe Aghion. Il propose d’inclure au Service national une formation écologique.

L’intérêt des conseils d’administration des grands groupes européens pour la question climatique comme ses conséquences dans la gestion des entreprises est réel, rassure Jean-Dominique Senard. L’environnement et la décarbonation sont au cœur de la stratégie du groupe Renault qui s’efforce de trouver des technologies adéquates le plus rapidement possible. Les séniors ne sont pas perdus par rapport à ces questions, mais ils savent par expérience aussi que tout ne s’obtient pas en une seconde. Les échanges intergénérationnels doivent donc être intelligents et non hostiles.

La décroissance n’est pas une solution, contrairement à l’innovation verte, estime Philippe Aghion. Il faut démystifier les fausses bonnes idées.

La société actuelle tend à opposer les jeunes aux vieux, les femmes aux hommes ou la ruralité aux zones urbaines, ce qui est totalement mortifère, souligne Élisabeth Moreno. Travailler ensemble permet au contraire de trouver des solutions pérennes. Cela dit, 70 % des projets de transformation dans les entreprises échouent parce qu’il ne suffit pas d’avoir conscience de quelque chose pour agir sur elle. Seul le changement des habitudes et des croyances amène à la transformation. Face à l’inquiétude des jeunes par rapport à l’avenir, si un acteur peut transformer la situation rapidement, il s’agit du monde de l’entreprise grâce à son pouvoir économique et décisionnaire. Si les entreprises choisissent les partenaires et les leaders avec lesquels collaborer et ne travaillent plus avec ceux qui ne répondent pas à certaines valeurs, le monde changera.

Propositions au gouvernement issues du projet Jeunesse(s)

  • Créer et intégrer une unité d’enseignement (UE) obligatoire dédiée au sport et au bien-être dans l’ensemble des parcours de formation dans l’Enseignement supérieur : pratique d’une activité sportive ou formation portant sur les risques psychosociaux, la santé et la nutrition.
  • Rendre obligatoire la publication des informations clés relatives à l’insertion professionnelle des jeunes. (Liste des emplois potentiels et leurs dynamiques de progression ; taux d’insertion sur le marché de l’emploi ; durée moyenne de recherche d’emploi après diplôme ; rémunérations moyennes éventuellement ; qualité de vie au travail etc.)
  • Instaurer des quotas jeunes (18-30 ans) sur les listes municipales, proportionnels au nombre de jeunes dans la municipalité, sans pouvoir excéder 30% des candidats inscrits sur la liste. Ce dispositif devra être accompagné d’une véritable éducation à la citoyenneté dans les établissements scolaires, de même qu’une promotion des fonctions de conseillers municipaux auprès des publics jeunes.
  • Créer et rendre obligatoire pour chaque jeune à compter de ses 18 ans de participer à un “Pacte Jeune Citoyen” composé de deux phases. Une première phase de formation aux problématiques environnementales, puis une intervention obligatoire auprès des enfants scolarisés et âgés de 3 à 12 ans pour les sensibiliser à l’écologie.

 Propositions

  • Questionner les pratiques d’accompagnement des dirigeants et décideurs en matière de santé des jeunes (Axel Sengenès-Cros).
  • Développer la saine concurrence et le dépassement de soi dans le système éducatif (Philippe Aghion, Élisabeth Moreno).
  • Réduire le décalage ressenti par les jeunes entre la vie étudiante et la vie active (Jasmine Manet).
  • Écouter, former et positionner la jeunesse au cœur des transitions à venir (Jasmine Manet).
  • Rendre publics l’évaluation des cours et les débouchés des formations ou filières (Jasmine Manet).
  • Former les jeunes à des compétences qui seront utiles dans cinq ou dix ans (Jean-Dominique Senard).
  • Favoriser la sélection par l’orientation (Philippe Aghion).
  • Former solidement les personnes appelées à guider les jeunes au plus proche de leurs aspirations professionnelles (Élisabeth Moreno).
  • Travailler l’image renvoyée par les personnels politiques pour donner envie aux jeunes de s’engager (Jean-Dominique Senard).
  • Protéger les personnels politiques (Jean-Dominique Senard).
  • Inclure au Service national une formation écologique (Philippe Aghion).
  • Favoriser des échanges intergénérationnels non hostiles (Jean-Dominique Senard).

 


 

[1] https://www.lesrencontreseconomiques.fr/jeunesses/

[2] https://www.gallup.com/workplace/506798/globally-employees-engaged-stressed.aspx

[3] Le Parisien, édition du 5 avril 2020.

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