" Osons un débat éclairé "

Pour une Afrique financière résiliente

Le continent africain n’est pas épargné par les crises qui frappent l’économie mondiale, bien au contraire explique Christian de Boissieu. Pour trouver des réponses aux défis africains, les Rencontres Économiques de Kigali organisé à l’initiative de la Présidence Rwandaise et le Cercle des économistes permettront de dresser l’état des lieu et souligner les voies vers une croissance durable, sobre en carbone et plus inclusive.

L’Afrique subit de plein fouet les chocs conjugués qui affectent l’économie mondiale : la pandémie toujours là, les conséquences de la guerre en Ukraine, la guerre au Proche-Orient, sans oublier les effets désormais patents du changement climatique.

La Conférence de Kigali des 27-28 novembre, rassemblant des décideurs publics et privés et des experts, les uns et les autres venus d’Afrique, d’Europe et des organismes internationaux, se tient à l’initiative de la Présidence rwandaise et du Cercle des économistes. Elle va permettre de dresser l’état des lieux et les perspectives d’avenir du continent africain, en soulignant les voies et moyens d’une croissance durable, sobre en carbone et plus inclusive.

La croissance africaine

La croissance ? L’Afrique, on s’en doute, est directement impactée par le ralentissement mondial, par les difficultés chinoises et par le resserrement monétaire dans les pays du Nord. A en croire les dernières prévisions du FMI, l’Afrique sub-Saharienne devrait connaître en 2023 une croissance à peine supérieure à la progression du PIB mondial (3,3% contre 3,0%) et il faudrait attendre l’année prochaine pour que l’écart se creuse un peu(4,0% contre 2,9%). Compte tenu de la croissance démographique en Afrique, à la fois une chance pour le continent mais en même temps une rude contrainte, cette croissance est insuffisante pour dégager des marges de manœuvre et faciliter le décollage économique des pays les moins avancés, et pour réduire la pauvreté endémique.

Le rebond de l’inflation depuis le second semestre 2021, accentué par les conséquences de la guerre en Ukraine, touche l’ensemble du monde donc aussi l’Afrique. Nombre de pays africains ont été et sont encore exposés à des fuites de capitaux attirés par la hausse des taux d’intérêt dans les pays avancés. De deux choses l’une alors : ou bien relever ses taux pour décourager les sorties de capitaux et pour stabiliser le taux de change, au risque de peser lourdement sur la croissance et l’emploi ; ou bien laisser filer le taux de change vers le bas et alimenter ainsi l’inflation domestique. Pas vraiment de bonne solution, mais plutôt le choix de la moins mauvaise…

Un contexte compliqué

Dans ce contexte compliqué et qui va le rester, l’Afrique doit agir pour ne pas trop subir. En matière financière, les propositions du Cercle des économistes qui vont être présentées lors de la Conférence de Kigali s’articulent autour de quelques grands axes.

D’abord, il convient que les pays du continent mettent en place un mécanisme africain de stabilité financière (MASF), qui leur permettra de faire face à des attaques spéculatives contre leurs devises et à des crises bancaires de nature systémique. Ce MASF doit venir non pas remplacer mais compléter les soutiens qui passent par le FMI, la Banque mondiale et les autres banques multilatérales de développement. Il devra être mis en place d’abord dans les différentes sous-régions qui composent l’Afrique, avant d’être élargi à l’ensemble du continent. Dans notre projet, le MASF serait abondé par les Etats-membres, par des emprunts garantis par ces Etats mais aussi par une partie des DTS qui viennent d’être redistribués par les pays avancés au profit de l’Afrique .

Ensuite, tout doit être mis en œuvre pour abaisser les coûts d’emprunt et donc les primes de risque payées par les pays africains. D’après le FMI, le service de la dette a explosé pour nombre de ces pays, qui risquent d’avoir de grandes difficultés à refinancer cette dette en 2024-2025. Bien sûr, le risque doit être rémunéré, mais dans certains cas il l’est excessivement. Des progrès pourraient être faits avec la création d’une agence de rating panafricaine venant chapeauter les quelques petites agences de notation aujourd’hui accessibles sur le continent, et par le recours à des mécanismes et institutions de garantie (« monoline ») permettant le « rehaussement » de certains crédits.

Enfin, face à l’émiettement et à la difficile émergence des marchés financiers existants, nous proposons de créer un réseau de places financières en Afrique, permettant grâce à des coopérations étendues d’atteindre l’activité et la liquidité requises pour vraiment parler d’émergence. Un tel réseau devrait relier les marchés financiers de Johannesburg, Lagos, Le Caire et Alexandrie, Abidjan, Nairobi,…, consolider ce qui a déjà démarré avant d’élargir son périmètre. Une telle coopération financière supposerait plus de coopération politique. Là résidera forcément le principal défi.

 


 

Christian de Boissieu, Vice-Président du Cercle des économistes

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