" Osons un débat éclairé "

Relier les générations entre elles


Coordination : Hippolyte d’Albis, membre du Cercle des économistes

Contributions : Bjarne Corydon, Børsen, Pascal Imbert, Wavestone, Manjula Pradeep, Fondation WAYVE, Sylvain Rabuel, DOMUSVI

Modération : Emmanuel Cugny, France Info


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Propos introductif d’Hippolyte d’Albis, membre du Cercle des économistes

Je vais commencer par évoquer trois images. La première, ce serait ce qui s’est passé la semaine dernière en France avec l’émergence sur les écrans de télévision et sur les réseaux sociaux, de jeunes très en colère. Une partie de la jeunesse a exprimé finalement son aversion de notre société et son besoin de casser. Donc des images très frappantes. Je pourrais parler, aussi, de la réforme des retraites qui a été perçue par certains, comme un avantage donné aux seniors et un sacrifice de personnes d’âge moyen au profit des plus seniors. Je pourrais parler, aussi, de certains activistes de l’environnement ou certaines personnes engagées pour l’environnement qui transforment cet engagement en une opposition entre les générations, en une accusation des générations précédentes, c’est le fameux « Ok Boomer ! » qui, d’une certaine manière, interdit toute discussion et qui renvoie la responsabilité, de l’état de l’environnement à une génération. Très souvent, lorsque le mot génération arrive dans le débat, il y a une sorte de réflexe pavlovien qui fait que l’on pourrait croire qu’il y a une sorte de conflit ou que l’on voudrait mettre en scène un conflit entre les générations. Je n’y crois pas du tout. Je me suis exprimé déjà là-dessus, mais je ne peux pas ne pas voir que cette image du conflit existe dans les représentations.

L’objectif de la session d’aujourd’hui est de montrer que finalement, les relations entre les générations sont beaucoup plus larges, beaucoup plus riches que ce que pourrait le faire imaginer un conflit entre les générations, qui repose sur une vision très binaire. C’est pour cela que je suis vraiment très heureux d’avoir ce panel international qui va nous parler de toutes ces dimensions différentes des relations entre les générations.

La première dimension, elle est évidente, c’est la famille. C’est au sein de la famille que se noue le lien intergénérationnel. La deuxième dimension, c’est bien sûr l’État, parce que l’État va socialiser un très grand nombre de dépenses publiques qui sont, par nature, intergénérationnelles. Pensez à la dépense publique associée à l’éducation, pensez à la dépense publique associée à la retraite, à la dépendance, etc. Un grand nombre de transferts passent par l’État. Et, bien sûr, j’aurais tendance à dire qu’il y a aussi le marché et les entreprises. L’entreprise, on y passe 30, 35, peut-être 40 ans de sa vie. On peut changer d’entreprise, mais c’est un lieu où se nouent les générations. Je suis très heureux d’avoir des personnes qui vont nous parler non seulement d’expérience française, mais aussi d’expérience internationale, sur ces trois dimensions. Premier point, l’inter générationnel est très riche et il faut regarder toutes les dimensions ensemble. Un autre point me paraît crucial, c’est que l’intergénérationnel n’est pas unidirectionnel, avec ce que l’on peut faire pour les jeunes, pour les plus âgés, pour les seniors, etc. Chaque fois, il faut envisager la relation comme une relation qui va dans les deux sens et je pense que c’est cela la clé pour une société intergénérationnelle apaisée.

 

 

Synthèse

La dimension intergénérationnelle est essentielle dans l’accompagnement des personnes âgées, explique Sylvain Rabuel. Il n’existe pas de conflits des générations comme l’a illustré la crise sanitaire à l’occasion de laquelle les collaborateurs de DOMUSVI ont manifesté un engagement très intense et un fort sens de la solidarité. Même si ce lien doit être protégé alors qu’il repose beaucoup sur « l’aidance » familiale qui implique les personnes entre deux générations dans un contexte d’évolution individualiste de la société, de décomposition et d’éloignement des familles. Des efforts doivent donc être entrepris, y compris en termes de structuration, par les pouvoirs publics pour préserver ce lien.

La communauté des intouchables, discriminée en Inde dans le cadre du système des castes, rend complexe le soutien intergénérationnel, témoigne Manjula Pradeep. Les castes ont un effet diviseur notamment dans le domaine de l’emploi. Les jeunes représentent 50 % de la population en Inde ce qui en fait la population la plus jeune du monde. Ce système des castes reproduit des discriminations très violentes, et encore plus pour les femmes. Cela réduit très fortement les possibilités de se développer pour de nombreux individus.

Les entreprises continuent à être très efficaces pour relier les générations entre elles, en les fédérant autour d’objets ou de valeurs communs, affirme Pascal Imbert. Elles constituent également elles-mêmes des lieux où le lien intergénérationnel s’exprime. Même si cela n’a pas été aisé durant les dernières années, l’évolution culturelle de la jeunesse a exercé une forme de pression sur les entreprises, avec une forme de « guerre des talents ». Elles doivent désormais écouter et prendre en compte les attentes des nouvelles générations, dès le début de leur carrière, en étant sincères et en leur donnant du sens, tout en étant honnête et en concrétisant leurs promesses. Les efforts des entreprises pour rétablir le lien avec les jeunes portent ses fruits auprès des talents mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour les jeunes plus en difficulté. L’écart entre ces deux populations va devenir insupportable si rien n’est fait. Des solutions doivent donc être développées car il s’agit d’un enjeu critique pour l’entreprise comme pour la société. L’urgence environnementale est en train de reléguer les enjeux sociaux au second plan, dans le prolongement de la prise de conscience par l’ensemble de la société et notamment les entreprises de cet enjeu climatique. Cependant il ne faut pas oublier la dimension sociale.

La justice intergénérationnelle semble mieux s’exercer dans les pays du Nord grâce à des finances publiques qui sont en mesure de soutenir les dispositifs de soutien de manière durable, explique Bjarne Corydon. Ce système s’est mis en place progressivement au regard des enjeux techniques très complexes, en coordonnant plusieurs politiques économiques, éducatives, de santé, notamment. La réflexion technique semble donc un préalable indispensable, en intégrant toutes les dimensions, et en les coordonnant de manière planifiée à moyen et long terme, comme il doit en être de même avec l’enjeu climatique.

Dans la mesure où les jeunes constituent une ressource essentielle pour l’activité de DOMUSVI, Sylvain Rabuel expose que son entreprise milite pour l’insertion des jeunes dans le milieu professionnel en recrutant beaucoup de personnels sans certification qui sont ensuite certifiés grâce à la validation des acquis de l’expérience, notamment d’aide-soignant, dans les établissements du groupe. C’est la seule manière d’aborder la problématique du manque de personnel soignant dans un pays comme la France. Des engagements très forts ont également été pris pour l’emploi des plus de 50 ans représentant une ressource très utile dans ces métiers. Le lien intergénérationnel est par ailleurs intégré dans le projet thérapeutique avec, par exemple, l’accueil de jeunes enfants dans les EHPADs, par le biais de mini-crèches intergénérationnelles. Des étudiants peuvent par ailleurs venir déjeuner dans les restaurants en contrepartie d’un temps social et de dialogues avec les plus âgés. L’intérêt de tous et y compris celui de la société comme de l’entreprise semble ici parfaitement coïncider.

Si certaines solutions ne peuvent venir que de l’extérieur, les entreprises ont aussi leur rôle à jouer, affirme Pascal Imbert, dans la mesure où elles sont assez efficaces pour bouger plus vite et mettre en œuvre des actions et des solutions pragmatiques, notamment sur l’enjeu de la formation d’une partie de la génération qui se trouve à côté du chemin.

Le rôle des entreprises est très important dans la mesure où l’Inde s’oriente vers la privatisation de la plupart des entreprises alors que le secteur public se réduit, confirme Manjula Pradeep. Même si, dans ce cadre également, les castes jouent encore un rôle significatif, notamment dans les recrutements. Ce qui peut faire perdre l’espoir à certains jeunes qui sont pourtant qualifiés. Il n’existe pas, pour autant, de politique publique pour lutter contre ces discriminations comme contre celles dont sont victimes les femmes. Les approches critiques sur ces problématiques sont rejetées, y compris par les entreprises internationales implantées en Inde.

La responsabilité sociale semble désormais mieux prise en compte par de très nombreuses entreprises, témoigne Bjarne Corydon. Elles mettent en place des rétributions pour les comportements les plus responsables, et une taxation de ceux qui ne le sont pas, de manière coordonnée grâce à l’action des pouvoirs publics.

Les pouvoirs publics ont de grandes difficultés à prendre en compte l’enjeu démographique et le vieillissement, notamment avec les investissements nécessaires, alors qu’il s’agit d’une évolution prévisible et planifiable, constate Sylvain Rabuel. Les pouvoirs publics devraient donc anticiper et planifier les mesures nécessaires pour absorber ce choc et en tirer profit.

Pascal Imbert confirme le rôle de la puissance publique mais également celui de la finance dans la définition des priorités des entreprises. Cela amène à un combat des idées au-delà d’une tentation de « greenwashing » puisqu’il s’agit de prendre des décisions de rupture au regard de la réalité et des enjeux, tout en intégrant la dimension sociale.

Même si les liens intergénérationnels peuvent être très fragiles, ils peuvent également receler des trésors conclut Hippolyte d’Albis. La préservation de ces relations contribuera à une société forte et inclusive, dans une approche globale intégrant bien la dimension sociale. Par exemple, le tutorat est une démarche très positive pour faire bénéficier certaines personnes d’un soutien intergénérationnel, ce qui peut permettre de très belles réussites professionnelles. Le Cercle des économistes lui-même y contribue notamment en donnant la parole à la jeunesse.

 

Propositions

  • Les entreprises doivent prendre en compte les nouvelles attentes des jeunes dans le cadre de la guerre des talents (Pascal Imbert).
  • La dimension sociale ne doit pas être négligée dans un contexte de focalisation sur les enjeux climatiques (Pascal Imbert).
  • Les dimensions politiques, économiques, éducatives, de santé doivent être prises en compte simultanément, et intégrées de manière coordonnée et planifiée à la réflexion technique (Bjarne Corydon).
  • Contribuer à l’intégration des personnels sans certification grâce à la VAE (Sylvain Rabuel).
  • Favoriser le tutorat (Hippolyte D’Albis).

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