" Osons un débat éclairé "

Retarder la réaction de la politique monétaire est inefficace

Depuis 1980, les banques centrales essaient de maintenir le taux d’inflation à 2 %, en utilisant des outils de politique monétaire réactifs. Pourquoi la BCE a-t-elle attendu que l’inflation de la zone euro atteigne 4,5 % pour réagir et avec quelles conséquences, questionne Patrick Artus.

Dans le passé, la politique monétaire (des États-Unis, de la zone euro) réagissait très rapidement à tout risque d’inflation. Dès que les salaires accéléraient les Banques Centrales commençaient à augmenter leur taux d’intérêt.

Cela s’est produit par exemple à partir de 1998 ou de 2016, bien avant le pic d’inflation de 2000 et au début de 2008. Cette politique était logique compte tenu du long délai entre les hausses des taux d’intérêt et leur effet sur l’inflation sous-jacente. En moyenne, il faut un an aux États-Unis et un an et demi dans la zone euro, entre le moment où la politique monétaire devient réellement restrictive et celui où l’inflation sous-jacente recule.

La méthode « traditionnelle »

Si les Banques Centrales passent à une politique monétaire qui anticipe l’inflation future, elles parviennent à contrôler l’inflation, à éviter qu’elle devienne forte. C’est cette politique qui a été menée depuis le passage à une politique de contrôle de l’inflation au début des années 1980 jusqu’à la poussée d’inflation de 2007.

Mais, dans la poussée d’inflation récente, après la crise de la Covid, et d’autant plus avec la guerre en Ukraine, les Banques Centrales ont choisi de mener une politique très différente. Elles ont considérablement tardé à monter leur taux d’intérêt. Lorsque la Réserve Fédérale fait sa première hausse du taux des Fed Funds, l’inflation sous-jacente est déjà de 5,5%, lorsque la BCE monte pour la première fois le taux repo sur l’euro, l’inflation sous-jacente est déjà de 4,5%. Au lieu d’agir en anticipation de l’inflation future, les Banques Centrales ont laissé l’inflation se développer sans réagir.

Cela se comprendrait si les Banques Centrales avaient changé de stratégie d’objectif. Par exemple, elles pourraient accepter une inflation plus forte pour éviter de détruire des emplois, d’affaiblir la croissance… Mais ce n’est pas le cas. Les dernières déclarations de la Réserve fédérale et de la BCE montrent qu’elles ont toujours l’objectif de ramener l’inflation à 2%. La Réserve fédérale indique maintenant que la politique monétaire des États-Unis devra être restrictive jusqu’à ce que l’inflation soit vaincue. De son côté, la BCE annonce une hausse continue des taux d’intérêt directeurs les menant probablement au-dessus de 4%. Il ne s’agit donc pas d’un changement d’objectifs, il s’agit d’un retard dans la réaction à l’inflation de plus d’un an. Dans le passé, les taux d’intérêt des Banques Centrales étaient augmentés dès que l’inflation sous-jacente dépassait 2% ou même avant. Aujourd’hui, l’inflation sous-jacente a été autorisée à monter à 5,5% (États-Unis) et à 4,5% (zone euro) avant que les banques centrales réagissent.

La décision d’attendre

Nous pensons que ce retard dans la réaction des Banques Centrales est une erreur de politique économique. Il a permis à l’inflation sous-jacente, à l’inflation anticipée et aux hausses de salaires de devenir fortes avant qu’il y ait une réaction de la politique monétaire.

L’inflation sous-jacente sera donc plus difficile à combattre en raison de ce retard, les taux d’intérêt des Banques Centrales devront être accrus davantage.

La situation pourrait encore s’aggraver

Aujourd’hui, les Banques Centrales pensent qu’il suffira d’une hausse modérée des taux d’intérêt pour vaincre l’inflation. Mais il faut réaliser qu’avec une inflation sous-jacente de 6% aux États-Unis et de 6,9% dans la zone euro, le niveau de taux d’intérêt qui contracte l’économie et fait baisser l’inflation est très élevé. S’il faut passer à des taux d’intérêt réels positifs pour obtenir une décélération de l’inflation, la hausse nécessaire des taux d’intérêt est encore forte, surtout dans la zone euro. La situation sera différente et bien plus favorable si, comme dans le passé, les taux d’intérêt avaient été augmentés avant que l’inflation ne dépasse 2%.

Les Banques Centrales (la Réserve Fédérale et la BCE) ont donc commis une grave erreur de politique économique en ne réagissant pas. Le coût de cette erreur sera la nécessité de taux d’intérêt plus élevé, plus durablement que dans le passé, donc un affaiblissement plus marqué de la croissance.

 


 

Patrick Artus, Membre du Cercle des économistes et Conseiller économique de Natixis

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