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Philippe Aghion, un Nobel pour l’innovation

Le 13 octobre 2025, la Banque de Suède a décerné son Prix de Sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel, « Prix Nobel d’économie », à Philippe Aghion aux côtés de Peter Howitt et Joel Mokyr. Deux de ses anciens étudiants, reviennent sur l’importance des travaux de ce membre du Cercle des économistes.

Depuis la fin du XVIIIᵉ siècle, de grands penseurs ont cherché à expliquer les ressorts de la croissance. Adam Smith, en 1776, établit un lien entre productivité et division du travail ; Thomas Malthus (1798) et David Ricardo (1817) soulignent le rôle des contraintes démographiques et foncières ; Joseph Schumpeter (1942) insiste ensuite sur l’importance de l’innovation et de la destruction créatrice.

Au XXᵉ siècle, les premières formalisations mathématiques apparaissent avec Roy Harrod et Evsey Domar, puis avec Robert Solow (1956) dont le modèle, toujours enseigné, comporte une limite importante : le principal facteur de la croissance de long terme, le progrès technique, y est « exogène », c’est-à-dire qu’il tombe du ciel.

Des avancées majeures

En 1992, la contribution majeure de Philippe Aghion et Peter Howitt, dans un article massivement cité et enseigné dans tous les masters d’économie, est « d’endogénéiser » l’innovation comme source de croissance : au lieu d’être résiduel, le progrès technique découle du comportement des agents du modèle. Les entreprises en concurrence imparfaite choisissent d’innover pour obtenir une rente temporaire. Celles qui innovent avec succès délogent les acteurs en place : c’est la destruction créatrice. Ce cadre de pensée rend la croissance sensible aux règles du jeu (concurrence, propriété intellectuelle, finance, éducation) et permet d’analyser les effets d’une politique économique, d’un changement structurel, d’une crise ou d’une révolution technologique.

De là découlent trois percées décisives. Premièrement, le lien entre concurrence et innovation : sans pression concurrentielle, les entreprises stagnent ; mais si la pression est trop forte, les marges pour financer la R&D s’évaporent. Résultat, une relation en U inversé entre intensité concurrentielle et innovation, qui a réorganisé le débat en politique de la concurrence en apportant une vision plus dynamique. Deuxièmement, l’articulation entre micro et macro-économie : le cadre schumpétérien éclaire la démographie des entreprises (entrées, sorties, réallocation), les cycles d’adoption technologique et les évolutions de productivité. Troisièmement, le rôle de l’État :  celui-ci ne peut se limiter à corriger les défaillances de marché ; il doit aussi orchestrer un écosystème favorable à l’innovation, c’est-à-dire assurer une concurrence qui stimule sans étouffer, un financement adéquat, des politiques de diffusion et un accompagnement des perdants de la disruption.

Une influence au-delà des sphères académiques

Aujourd’hui, de nombreux économistes, y compris très jeunes, construisent des modèles qui se fondent sur la boîte à outils développée par Aghion et Howitt. L’essor des données individuelles depuis la fin des années 1990 a permis de tester finement ce cadre de pensée. La grande force de Philippe Aghion est qu’il a réussi à faire évoluer son modèle, développant de nouvelles prédictions à mesure que l’arrivée de données de plus en plus précises permettaient de l’éclairer. 

Son influence dépasse le monde académique et nourrit directement l’action publique. Le cadre schumpétérien met en lumière l’importance d’investir dans la recherche et développement bien sûr, mais aussi le rôle des jeunes entreprises, et permet de comprendre ce que doit être une bonne politique fiscale ou de concurrence.

Enfin, l’héritage principal de Philippe Aghion est d’avoir transmis sa passion et ses idées à ses étudiants, et des anciens étudiants comme nous, qui aujourd’hui continuent à enrichir sa théorie, notamment dans le laboratoire qu’il a établi au Collège de France. Il y a fort à parier que c’est là sa plus grande fierté car Philippe Aghion est avant tout un homme d’une grande générosité, animé par le désir de faire progresser la connaissance collective.

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