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Portée et signification de la baisse des taux de la Fed

Avant la trêve de fin d’année, la baisse des taux de la Fed marque un nouveau tournant de la politique monétaire américaine. Cette stratégie est-elle gagnante dans le contexte économique général, et américain en particulier ? Pour Philippe Trainar, il convient de relativiser les effets attendus.

Le 10 décembre dernier, le Federal Open Market Committee (FOMC) de la Federal Reserve a décidé de réduire de 25 points de base le taux des « federal funds ». Il s’agit du principal instrument d’intervention de la politique monétaire américaine. Ce taux est passé de 3,75-4,00 %, niveau en vigueur depuis le 29 octobre dernier, à 3,50-3,75 %. Parallèlement, le Comité a décidé de mettre fin au Quantitative Tightening. Il a également décidé de reprendre la politique de Quantitative Easing (QE). Cette reprise se fera par des achats de titres du Trésor de maturité inférieure à trois ans, pouvant aller jusqu’à 40 milliards de dollars par mois.

Une politique plus accommodante que ne l’indiquent les données

Ces deux décisions témoignent de la volonté de la banque centrale américaine de mener une politique monétaire accommodante. Elles traduisent surtout une politique plus accommodante que ce que suggèrent les données conjoncturelles disponibles. Ces données concernent l’inflation et le taux de chômage. En effet, sur la base de ces éléments, l’inflation est supérieure d’un point au taux cible de 2 %. Le taux de chômage est très proche de son niveau d’équilibre. Selon les règles de politique monétaire usuelles, la Federal Reserve devrait cibler un taux des Fed Funds compris entre 4,00 et 4,50 %. Elle n’aurait donc pas dû réduire ce taux lors de la dernière réunion de son comité.

Une reprise du QE jugée difficilement justifiable

La Fed aurait encore moins dû associer cette baisse de taux à une reprise du QE. Cette reprise intervient dans une proportion élevée. Elle survient alors qu’à peine un tiers du QE effectif depuis 2008 a été résorbé à ce jour. Ces décisions paraissent d’autant plus surprenantes qu’elles interviennent dans un contexte de brouillard inhabituel sur les tendances récentes de l’inflation et de l’activité aux États-Unis, du fait du « shutdown ».

L’influence informelle de Donald Trump

La décision du 10 décembre révèle, en fait, l’influence informelle de Trump qui joue dans le sens d’une politique monétaire excessivement accommodante. Elle conduit, par voie de conséquence, à une persistance plus longue que prévue de l’inflation à un niveau supérieur au taux cible de 2 %, ainsi qu’à une dépréciation du dollar par rapport à son niveau actuel. Cette décision confirme aussi le changement fondamental intervenu dans la politique monétaire depuis 2008. La Federal Reserve, comme les autres banques centrales des économies développées, est devenue l’un des principaux détenteurs de la dette publique, si ce n’est le principal. Dans le même temps, les banques privées ont substitué des créances sur les banques centrales aux créances sur les États qu’elles détenaient traditionnellement. Ce changement entraîne une conséquence économique et financière majeure. Les banques centrales, la Federal Reserve en tête, ont très sensiblement accru leur exposition au risque de crédit des États. Les banques privées ont, à l’inverse, réduit cette exposition au profit d’une exposition accrue aux banques centrales. Cette évolution modifie assez radicalement la donne en matière de risque systémique. Elle accroît dangereusement les interconnexions entre politiques monétaire et budgétaire.

Quelles perspectives à court terme ?

À un niveau plus conjoncturel, on peut s’interroger sur la signification de ces décisions pour les mois à venir. De nombreux experts ont souligné une division accrue au sein du FOMC. La fraction des opposants s’est nettement renforcée. Trois membres sur douze ont voté contre la décision. Certains y ont vu un signal d’opposition à toute baisse future des taux.

Il me semble que c’est là une interprétation imprudente. D’une part, parmi les trois opposants, il n’y en a eu que deux qui étaient favorables au statu quo alors que le troisième, Stephen Miran, inféodé à Trump, était favorable à une baisse sensiblement supérieure, de 50 points de base. D’autre part, le processus de désinflation, même s’il devrait prendre du retard du fait des conséquences des tarifs douaniers et du caractère excessivement accommodant de la politique monétaire actuelle, n’en va pas moins se poursuivre à l’avenir, toutes choses égales par ailleurs.

Une baisse des taux encore inachevée

Au terme de ce processus, le taux des Fed Funds devrait se situer autour de 3,00 %. C’est ce que suggèrent les règles de politique monétaire usuelles. Cela laisse une marge de baisse d’environ 50 points de base. Les marchés anticipent ainsi deux à trois baisses supplémentaires de 25 points de base. Ces baisses pourraient intervenir en 2026, voire en 2027. Compte tenu des risques évoqués, cette baisse devrait s’étaler sur deux à trois ans. En tout état de cause, la baisse des taux n’est pas encore terminée aux États-Unis. La vraie question reste celle du rythme de cette baisse.