" Osons un débat éclairé "

« Sur quels thèmes économiques va se concentrer l’élection présidentielle française ? »

Entre le nom des candidats potentiels, les modes de scrutin et les conditions techniques de vote, l’élection présidentielle 2022 monte en puissance dans l’actualité. En matière économique, Patrick Artus dresse la liste des principaux sujets qui devraient émerger, notamment à l’aune de la crise sanitaire

Le débat économique pendant l’élection présidentielle devrait probablement se concentrer sur les thèmes dont la pertinence et l’importance ont été révélés par la crise de la Covid. On peut identifier cinq thèmes essentiels.

Le premier est celui de l’efficacité de l’Etat, qui a été mise en doute avec les difficultés évidentes du système de santé pendant la crise de la Covid, mais que révèle aussi le score catastrophique de la France dans les enquêtes portant sur les compétences des enfants (récemment l’enquête TIMMS sur les compétences en mathématiques et en sciences des enfants de CM1 et de 4ème), sur les compétences de la population active. Quand on compare les indicateurs usuels d’efficacité du secteur public (éducation, santé, infrastructures, sécurité, pauvreté…) et le poids des dépenses publiques, on voit que d’autres pays de l’OCDE ont la même performance que la France avec des dépenses publiques beaucoup plus faibles (de 10 points de PIB au moins). Le débat sur les moyens de redresser l’efficacité de l’Etat est donc inévitable.

Le deuxième thème est celui de la globalisation et des relocalisations. On attribue souvent à la globalisation et à l’ouverture des échanges avec les pays émergents la désindustrialisation, les pertes d’emplois, d’où l’idée de promouvoir les relocalisations. Il faut d’abord regarder la difficulté qu’il y aura à relocaliser en France, avec le niveau très élevé des coûts salariaux, de pression fiscale sur les entreprises, avec la faiblesse des compétences. Il ne faut pas ensuite oublier les effets favorables de la globalisation : baisse des coûts pour les consommateurs, exploitation des avantages comparatifs. Au total, il faudra peut-être se contenter de relocaliser les industries stratégiques : médicaments, matériel pour les énergies renouvelables, électronique (semi-conducteurs par exemple).

Le troisième thème est celui des compétences. Dans les économies qui deviennent davantage digitales et davantage vertes, la faiblesse des compétences de la population active en France (l’enquête PIAAC de l’OCDE classe la France tout à fait en queue des pays de l’OCDE pour les compétences) est un très sérieux handicap. Il serait donc légitime que la campagne présidentielle soit l’occasion de débattre des difficultés du système éducatif, du système de formation professionnelle. Cette question est d’autant plus importante que la crise de la Covid provoque une forte déformation de la structure sectorielle de l’économie (au détriment du transport aérien, de l’aéronautique, de la distribution traditionnelle, de l’hôtellerie et de la restauration, du tourisme, de la culture…, et en faveur des entreprises technologiques, de la pharmacie, de la sécurité, de la distribution en ligne, des énergies renouvelables), donc un très important besoin de requalification des salariés nombreux qui vont devoir changer de secteur d’activité.

Le quatrième thème est celui de la compatibilité entre le soutien de la croissance potentielle et la transition énergétique. Le risque est que la transition énergétique soutienne la demande de produits essentiellement importés : cellules solaires, batteries électriques, équipements pour la production d’hydrogène, et donc affaiblisse l’économie française si elle doit dépendre encore plus des importations. Le développement, au minimum en Europe et encore mieux en France des productions de ces biens est donc essentiel.

Enfin, le cinquième et dernier thème est bien-sûr celui des inégalités. La crise de la Covid a augmenté les inégalités de revenu, en éloignant de l’emploi des salariés ayant des contrats de travail courts, des indépendants, des jeunes. Elle a augmenté les inégalités patrimoniales, puisque la politique monétaire très expansionniste a déjà conduit et va encore conduire à la hausse des prix des actifs (actions, immobilier…).

La pression des opinions pour qu’il y ait réduction des inégalités sera donc forte, et le débat devra porter sur les moyens de le faire sans déprimer l’économie (quels transferts, quels impôts… ?).

Nous nous sommes bien-sûr limités aux thèmes économiques et sociaux, pas aux thèmes sociétaux, et nous avons vu que les thèmes que nous avons évoqués (efficacité de l’Etat, globalisation, compétences, transition énergétique et croissance, inégalités) sont ceux qui ont été exacerbés par la crise de la Covid.

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