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La France dans l’Europe, deux monnaies possibles ?

Vives interrogations ? Le projet de Marine Le Pen, candidate à l’élection présidentielle, concernant l’avenir de l’euro, suscite de vives interrogations. Le système d’une double monnaie existe-t-il ? « Oui, dans certains pays en développement comme Cuba. Cela a existé autrefois en Union soviétique et en Chine », répond Agnès Bénassy-Quéré, soulignant que cela allait de pair avec des contrôles de changes. Comme l’explique la présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, l’objectif des pays qui ont, ou ont eu, recours à ce double système « est de limiter les sorties de capitaux. C’est, aussi de forcer les résidents à utiliser la monnaie nationale car cette dernière rapporte énormément d’argent à l’Etat qui l’émet ». Ce qui justifie la position prise par Marine Le Pen dont les promesses électorales ne sont pas financées autrement que par la planche à billets. « Emettre une monnaie avec utilisation massive de la planche à billets, c’est créer une devise faible que les habitants ne voudront pas utiliser. On est donc obligés d’introduire un contrôle pour qu’ils l’utilisent effectivement », explique Agnès Bénassy-Quéré.

Manque de clarté. On observe aussi une double circulation monétaire lorsque la monnaie nationale souffre d’un manque de crédibilité. Les habitants préfèrent alors utiliser une monnaie étrangère, dont la valeur est jugée plus stable. Ainsi, deux points sont essentiels pour définir un régime à deux monnaies : la convertibilité et le taux de change. « La nouvelle monnaie nationale sera-t-elle convertible en euro, sans aucune restriction ? », s’interroge Agnès Bénassy-Quéré. Et de poursuivre : « Si le taux de change est fixe, on peut se demander à quoi cela sert d’introduire une monnaie nationale. S’il est fixe mais ajustable – c’est-à-dire que l’on peut dévaluer de temps en temps -, c’est alors la porte grande ouverte à la spéculation ». Dans le cas de la monnaie flexible, c’est le marché qui décide à tout moment du taux de conversion entre le franc et l’euro. Selon Agnès Bénassy-Quéré, le problème est alors « pour les entreprises qui ont des dettes en euro, des fournisseurs à payer en euro. Si le client va au supermarché et achète en franc, le supermarché, lui, achète ses produits étrangers (électronique, textile, etc.) en euro. Si le franc baisse, le supermarché perd de l’argent, à moins de relever les prix en franc pour ses clients ». Il n’y a pas de miracle.

L’écu n’était pas une monnaie mais une unité de compte. La présidente déléguée du Conseil d’analyse économique juge nécessaire de faire un peu d’histoire. Avant l’euro, « la valeur du franc était fixe par rapport à l’écu. Les budgets européens étaient déterminés en écu. Mais qui a vu, un jour, quelqu’un rédiger un chèque en écu ? ». Selon Agnès Bénassy-Quéré, une autre confusion est faite avec les monnaies locales. « Il faut rappeler que ces monnaies ne sont pas convertibles en monnaies étrangères. Il n’y a pas non plus d’assurance des dépôts pour ces monnaies, alors que les dépôts bancaires sont assurés jusqu’à 100 000 euros ».

La France est un pays souverain, mais… « La France peut quitter l’Union européenne. L’euro fait partie de ce que l’on appelle l’acquis communautaire. Donc, en principe, quitter l’euro c’est quitter l’Union européenne », explique l’économiste. Ce qui, une nouvelle fois, justifie le positionnement de Marine Le Pen puisque son programme repose entièrement sur la sortie de l’UE. « La préférence nationale, les taxes à l’importation, etc… supposent de quitter l’Union européenne. C’est le scénario du Brexit avec, en plus, la sortie de l’euro que les marchés vont naturellement anticiper. Il est faux de dire que nous discuterions tranquillement pendant six mois avec nos partenaires européens. Pendant ce temps, les marchés anticipant une sortie de l’euro, ils exigeraient des taux d’intérêt élevés pour nous prêter. Un scénario possible serait alors de voir les marchés s’énerver tellement que la France se retrouverait forcée de quitter l’euro », estime Agnès Bénassy-Quéré. « Ca ne serait plus une décision souveraine mais le résultat d’une crise ». Tout cela repose cependant sur des négociations avec des partenaires qui ne sont pas du tout sur cette ligne-là », conclut l’économiste, sur fond d’optimisme.

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