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Quelles marges de manœuvre pour une politique sociale hardie ?

La perspective d’une nouvelle équipe gouvernementale après les élections législatives rebat les cartes de la politique économique. Sur fond de débat autour du pouvoir d’achat et des salaires, de nombreuses questions se posent sur la politique sociale. Pour Jean-Paul Betbeze, une politique pertinente en la matière ne peut négliger les aspects économiques et financiers

Hardie : c’est-à-dire courageuse, sinon risquée ? Mais pour qui ? Pour les petites entreprises et les petits commerces qui devront fermer boutique, si cette politique « hardie » implique de trop fortes hausses des coûts salariaux, notamment du SMIC, qu’ils ne pourront pas supporter ? Mais elle sera risquée aussi pour les salariés peu ou pas qualifiés, face à des entreprises inquiètes ou fragilisées, qui vont arrêter leurs investissements, sans oublier les chômeurs qui attendent un emploi. 

La hardiesse n’est jamais simple en matière sociale, car elle repose toujours sur un pari, pari pris sur les autres sans qu’on leur demande leur position, ni qu’on leur parle des risques. Le pari économique en cours, avec ses conséquences sociales, est que les consommateurs vont continuer à consommer, voire plus suite à leurs hausses de revenus, notamment des produits français, le tout sans s’inquiéter d’une augmentation, jugée temporaire, des déficits extérieur et budgétaire, plus de la dette. Dans cette hypothèse, entrepreneurs et distributeurs reverraient leurs prévisions, en plus rose. Ces augmentations de salaires feront repartir la machine. La « relance par la consommation de 1981 » nous revient, en oubliant les trois dévaluations qui avaient suivi. En oubliant aussi les 35 heures et la retraite qui passe à 60 ans, contre 65, « hardiesses sociales » toujours présentes quarante an plus tard. Hardi, le pari des programmes actuels ?

Politique sociale : pour qui et combien de temps l’apprécier ? Cette politique doit en effet s’occuper des revenus au-delà des salaires de ceux qui sont en emploi, et aussi de ceux des patrons et des entreprises, autrement dit des profits, sans oublier les chômeurs et les pauvres. La politique n’est « sociale » que si elle est à la fois économique et financière, en fonction de la situation présente avec tous ses acteurs, indépendamment de leurs votes. Or les chiffres nous donnent à voir une réalité moins sombre que celle qui est ressentie, par refus de voir le redressement de l’économie française – jugé trop lent. Inutile de parler de faillite ici et de milliardaires là, sans prendre en compte l’amélioration en cours, très compliquée dans ce monde en crises multiples. 

Il ne s’agit pas d’agiter des peurs, mais plutôt de parler des 2,8 millions de projets de recrutement pour 2024, dont 61% en CDI ou en CDD de plus six mois, selon France Travail. Parmi ces projets, 39% se trouvent dans les services aux particuliers, 19% aux entreprises, 12% au commerce, 9% à l’industrie, 8% à l’agriculture et autant à la construction. Les employeurs cherchent, dans l’ordre, des serveurs de café, des employés pour la restauration et l’agriculture. Certes, ces emplois vont avec des contraintes de pénibilité, de temps et de lieu, mais ils existent. Vides. En même temps, on cherche des viticulteurs et des soudeurs. Faut-il alors renchérir les emplois déjà occupés ?

Comment être hardi en social, si on ne prend pas en compte l’économie et la finance, aujourd’hui et surtout demain ? Les marchés ont bien vu les comptes publics français, avec un déficit budgétaire de plus de 100 milliards, auxquels il faut ajouter 50 milliards de frais financiers sur la dette publique : 100 + 50 = 150 milliards. Les taux longs ne pourront que monter et la bourse baisser si on ne redresse pas la barre.

Une politique sociale hardie ne peut donc être facile dans ce paysage fracturé. Les marchés vont signaler le côté qu’ils aiment le plus, en insistant sur celui de leur plus grande crainte. Ces réactions, sans doute excessives, poussent à plus d’explications donc, en fait, à un jugement plus complet sur un social vrai.

Pour les marchés, la croissance se situe sur la crête entre l’économique et le social, dans ce monde bouleversé. C’est hardi. Le politique est impatient, souvent sans voir les limites et les aspects contradictoires de ce qu’il promet. Une politique sociale hardie est celle qui dure, pour tous.

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