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Comprendre l’innovation sociale & écologique

L’innovation ne consiste pas seulement à inventer un objet révolutionnaire ou à découvrir une nouvelle source d’énergie. Elle peut aussi être moins spectaculaire mais changer le quotidien de 10, 100 ou 1 million de personnes, en répondant à des besoins sociaux peu ou pas satisfaits. C’est ce que l’on appelle l’innovation sociale. Nous avons posé cinq questions à Julia Faure, coprésidente du Mouvement Impact France, pour en comprendre les enjeux.

Sur quels critères peut-on dire qu’une innovation est sociale ou écologique ?

Julia Faure L’innovation… renvoie au fait d’inventer quelque chose. Alors qu’en matière de social ou d’écologie, ce n’est pas d’innovation dont on manque, on ne manque pas d’idées pour améliorer la vie des gens ! On manque de moyens, car améliorer la vie des gens et diminuer notre impact environnemental, c’est réduire la rentabilité d’une entreprise. Je vais vous donner un exemple issu de mon entreprise : pour améliorer la vie des gens et réduire les inégalités, chez nous le congé paternité est obligatoire et de même durée que le congé maternité. De fait, on n’a pas plus intérêt à embaucher un homme de 30 ans qu’une femme de 30 ans : dans tous les cas, il y a des fortes chances pour que cette personne soit absente pendant 3 mois. Ça permet d’enlever les raisons de la discrimination à l’embauche. Quand mon associé a eu son enfant, il travaillait dans une autre entreprise et a dû laisser son bébé au bout de 15 jours pour aller travailler… c’est un crève-cœur, surtout que pour l’autre parent c’est très difficile à gérer seul. C’est donc une mesure antidiscriminatoire et aussi une mesure profondément humaine. En revanche, ça coûte à l’entreprise 18 jours de congés paternité, intégralement pris en charge par elle.

Comment faire en sorte que les innovations sociales soient autant valorisées que les innovations technologiques ?

J.F. L’entreprise cherche l’innovation technologique plutôt que l’innovation sociale, car elle sert sa rentabilité. Alors bien sûr, il peut arriver que les innovations sociales servent la rentabilité à travers le bien-être des salariés : par exemple, des expérimentations où, grâce à la semaine de 4 jours où les employés se sentent et travaillent mieux. Le congé paternité, lui, fait que l’employé revient beaucoup plus motivé, il crée de la marque employeur. Peut-être que certaines innovations sociales comme technologiques améliorent la rentabilité de l’entreprise, mais face aux enjeux sociaux d’inégalités, de santé mentale, d’écologie ou de réduction d’impact, qui sont énormes, on ne peut pas encourager au sein des entreprises seulement les innovations qui apportent de la rentabilité. La plupart des innovations sociales rognent la rentabilité, mais si on pense que c’est souhaitable car cela a des bénéfices sur la société, alors il faut un cadre légal. On peut considérer les 35 heures comme une énorme innovation sociale. S’il n’y avait pas un cadre légal pour leur mise en place, les entreprises appliquant les 35 heures seraient désavantagées par rapport aux autres. Pour avoir des innovations sociales dans les entreprises, même si elles n’apportent pas de rentabilité mais servent l’intérêt général, il faut un cadre qui fasse que ce ne soit pas désavantageux pour les entreprises de les mettre en place.

Que faudrait-il faire pour généraliser les innovations sociales ?

J.F. Celles qui rapportent de l’argent peuvent se généraliser toutes seules. Celles qui sont neutres ou qui coûtent, il faut les aider. Si on ne forçait pas les entreprises à accorder de congé maternité, leur intérêt serait alors de virer les femmes avant qu’elles ne fassent des enfants. C’est ce qu’il se passerait, sauf pour quelques femmes tellement talentueuses que l’entreprise serait prête à faire quelques sacrifices ou sauf pour des entreprises ayant une très grosse éthique, mais le marché pousserait vers ça. Toutes les innovations sociales et écologiques qui servent l’intérêt général mais pas l’intérêt économique d’une entreprise, si elles ne sont pas dans un cadre les rendant intéressantes (réduction d’impôts, pénalités, index…), sont écartées.

« La plupart des innovations sociales rognent la rentabilité »

Julia faure

Comment faire pour que chaque entreprise se saisisse de ces innovations ?

J.F. Celles qui apportent de la valeur aux entreprises se diffusent toutes seules. Par exemple, pour les mesures écologiques, tout ce qui réduit le gaspillage pour une entreprise fait faire des économies, donc se met facilement en place. Pour que ce type d’innovation soit diffusée, il faut des exemples de la part d’entreprises et des démonstrations des bénéfices créés. Pour les innovations qui sont neutres, il faut des gens plus engagés, car elles vont demander du travail en interne pour leur mise en place. Il faut donc des managers convaincus. En revanche, les innovations qui vont coûter des points de rentabilité vont n’être mises en place que dans certaines entreprises – par exemple des entreprises familiales avec une forte proximité ou des sociétés quasi-monopolistiques qui peuvent se payer des programmes super pour leurs employés, comme Google. Dans un secteur concurrentiel avec des marges faibles, même des entreprises avec des managers bienveillants ne peuvent pas se permettre de mettre en place des actions qui leur font perdre de la rentabilité. Les usines qui font de la fabrication en France sont tellement prises en tenaille par la concurrence chinoise qu’elles ne peuvent même pas augmenter leurs salariés. Les travailleurs sont au SMIC car l’entreprise n’a pas assez de rentabilité pour payer plus les gens. Donc ces entreprises ne pourront mettre en place que les innovations qui ne leur coûtent rien.

Les innovations sociales et écologiques nous permettront-elles de réussir les transitions ?

J.F. L’avenir est extrêmement sombre, aussi bien d’un point de vue écologique, démocratique que social. L’extrême droite est aux portes du pouvoir et sa particularité – on le voit en Argentine ou avec Trump – c’est de casser les droits sociaux et avancées écologiques. Si rien n’est fait, il y aura un énorme recul. Aujourd’hui, on est à un tel point d’accroissement des inégalités et d’urgence écologique qu’on ne peut pas considérer qu’on a déjà réalisé une bonne partie du chemin. François Gemenne a une métaphore « on est à la mi-temps et on perd 3-0 ». Il prend cet exemple d’un match, auquel il faudra égaliser 3-3 à la fin et gagner au tir au but. Eh bien j’espère que dans 20 ans on pourra gagner au tir au but.

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