Les inondations dévastatrices à Valence, en Espagne, ainsi que les récentes crues dans le sud de la France, invitent à une réflexion sur les catastrophes naturelles, leur évolution et les stratégies pour y faire face. De cette analyse, Philippe Trainar dégage quatre enseignements principaux.
Ces événements nous montrent que, individuellement et collectivement, les ménages et les pouvoirs publics ont tendance à sous-estimer tant l’occurrence des catastrophes naturelles que l’ampleur du choc qu’elles sont susceptibles d’induire. On a l’impression que la plupart des personnes vivent dans l’illusion qu’ils ne seront pas témoins de catastrophes naturelles extrêmes durant leur vie car celles-ci ne se produisent que très rarement. D’où un sentiment fallacieux d’invulnérabilité. Or, un événement extrême qui a une probabilité de 1% peut très bien se produire demain et se reproduire quelques mois plus tard. Il n’y a aucun besoin d’en appeler au changement climatique pour cela. A la faveur de quelques décennies exceptionnelles, marqué par une meilleure maîtrise technique des catastrophes naturelles et par une sinistralité exceptionnellement faible, le fait est que ce sentiment de sécurité fallacieux s’est propagé dans la société en même temps que se développait l’Etat providence. Il faut impérativement changer les esprits et mieux se préparer à l’occurrence des risques extrêmes.
Ces événements nous montrent aussi fort clairement que le réchauffement climatique change moins la nature des catastrophes naturelles que leur fréquence et leur intensité, notamment la fréquence des événements les plus extrêmes. Autrement dit, il ne change en rien le fait qu’un événement climatique extrême puisse se produire demain, il en change simplement la probabilité. Naturellement, en termes de coût économique, ce changement est fondamental puisqu’il accroît le coût économique de la décision de ne pas se protéger ou de ne pas prévenir le danger, notamment le danger que constituent des événements nouveaux ou inhabituels comme la montée des eaux côtières, le retrait-gonflement des sols argileux et les tempêtes « convectives » par rapport auxquels il va falloir innover pour se protéger. Notons cependant que ces événements nouveaux ne concerne pas vraiment ce que nous venons de vivre dans le sud de la France et qui relève de la protection traditionnelle contre les inondations.
Ces événements appellent en outre notre attention sur l’intérêt de mettre en place des couvertures assurantielles adéquates. On peut certes raisonner en termes de redistribution et d’effort national en faveur des sinistrés plutôt que d’assurance, mais la redistribution n’a en fait d’intérêt que par rapport à des sinistres imprévisibles et donc légitimement inassurés, voire inassurables. Par rapport à des événements en revanche prévisibles, ce n’est pas la redistribution mais l’assurance qui constitue le mécanisme le plus efficace. Non seulement, il permet de faire payer à l’assuré en fonction de l’exposition au risque qu’il a choisie mais il permet en même temps de l’inciter à la prévention afin de bénéficier de meilleurs tarifs. L’assurance est donc vertueuse quand la redistribution ne l’est pas. De ce point de vue, et contrairement à ce que l’on entend de-ci de-là, la question de l’assurabilité des risques de catastrophes naturelles induites par le réchauffement climatique ne se pose pas : quand le risque augmente, les tarifs d’assurance doivent augmenter avec le coût du risque et diminuer en fonction de l’effort de prévention. Le marché et la concurrence assurent ces ajustements et le signal prix qui en résulte incite à un effort de prévention optimal. Les événements récents incitent en revanche à poser la vraie question qui est celle du caractère abordable des couvertures concernées.
Ces événements font enfin ressortir le caractère doublement défaillant de notre régime public des catastrophes naturelles. D’une part, ses primes n’ont pas augmenté depuis 25 ans malgré l’augmentation connue des risques climatiques… conséquence : le régime se retrouve en déficit massif, aux frais du contribuable. D’autre part, ses primes ne varient pas en fonction du risque et subventionnent donc la prise de risque… conséquence : les maisons individuelles construites depuis la création du régime, au début des années 80, se sont concentrées dans les zones inondables et se sont révélées trois fois plus exposées au risque de retrait gonflement des argiles que leurs aînées, aux frais du contribuable et de l’assuré prudent ! Si les pouvoirs publics viennent de décider une mise à niveau des « surprimes » catastrophes naturelles (hausse de 12 à 20% pour les habitations et de 5 à 9% pour les véhicules), il n’est cependant prévu ni de l’indexer sur la hausse pourtant inévitable de la sinistralité, ni de la moduler en fonction de l’exposition au risque des assurés. Les événements récents incitent à remettre en cause ces défauts majeurs du régime des catastrophes naturelles et à aller beaucoup plus loin dans la réforme.