La France est-elle le vilain petit canard de la fiscalité, en Europe et dans le monde ? Après avoir mis en lumière les principales spécificités du système fiscal français, Patrick Artus dessine les pistes d’une réforme fiscale, dont la structure renouvelée permettrait d’accroître les salaires, d’améliorer la compétivité-prix et d’éviter une concentration trop forte des patrimoines.
Cet article est extrait du quatrième numéro de la revue Mermoz, « Aux impôts, citoyens ! ».
On s’interroge souvent sur les conséquences du taux de prélèvements obligatoires nettement plus élevé en France que dans les autres pays de la zone euro : le taux de prélèvements obligatoires est en 2022 de 48 % en France, de 45,6 % en Belgique, de 42,9 % en Italie, de 42,5 % au Danemark, de 42,1 % en Allemagne, de 38,3 % en Espagne. Mais nous défendons ici l’idée selon laquelle le total des impôts influence l’équilibre économique moins que la nature des impôts. Certains impôts créent peu de distorsions, affectent peu le coût du travail ou la rentabilité des entreprises, à la différence d’autres impôts. Nous nous concentrons donc sur les différences entre le poids des différents impôts en France et dans les autres pays européens.
Les caractéristiques du système fiscal français
Le système fiscal français est d’abord caractérisé par un taux normal de TVA inférieur à celui observé dans la plupart des pays européens. Le Tableau 1 montre un taux normal de TVA de 20 % en France ; il n’est que de 19 % en Allemagne, alors que dans la plupart des pays européens il est compris entre 21 % et 27 % (21 % en Espagne, 22 % en Italie, 25 % en Suède…) ;
On observe ensuite un poids élevé des cotisations sociales et du coût des cotisations patronales. Les cotisations patronales représentent 26,6 % du coût total du travail en France (Tableau 2), 24 % en Italie, 23,3 % en Espagne, 23,9 % en Suède, 16,7 % en Allemagne. Le cas le plus extrême est celui du Danemark où il n’y a quasiment pas de cotisations patronales. Le total des cotisations patronales et salariales atteint 34,9% du coût total du travail en France, contre 28,3% en Italie, 28,2% en Espagne, 29,2% en Suède, 33,8% en Allemagne.
La caractéristique importante suivante du système fiscal français est un poids faible de l’impôt sur le revenu (Tableau 3), qui, toujours calculé en pourcentage du coût total du travail, atteint 11,9 % (du coût total du travail) en France, 16,8 % en Italie, 12,9 % en Suède, 14,1 % en Allemagne, 12 % en Espagne.
On observe aussi un poids plus élevé que dans les autres pays européens des droits de succession (des impôts sur les héritages), qui représentent 1,4 % de l’ensemble des impôts alors que dans la plupart des pays européens leur poids est nul ou négligeable (Tableau 4). Cependant, dans l’absolu, le poids des droits de succession (0,6 % du PIB) est faible en France.
« Deux mesures centrales sont d’une part la baisse des cotisations sociales, patronales et salariales, compensée par la hausse de la TVA et, d’autre part, la baisse de l’impôt sur le revenu, compensée par la hausse de la taxation sur l’héritage »
On observe enfin une taxation uniquement de la fortune immobilière (Tableau 5). La plupart des pays européens ont supprimé, ou n’ont jamais eu, de taxation de la fortune. Il y a une taxation de la fortune à un taux assez élevé uniquement en Espagne.
Quelle réforme fiscale cette comparaison entre la France et les autres pays européens suggère-t-elle ?
Une hausse de la TVA et une baisse des cotisations sociales des salariés
La masse salariale ne représente que 50 % du PIB hors exportations. Une baisse des cotisations sociales des salariés de 1 point est donc équilibrée, en termes de recettes fiscales, par une hausse de la TVA de 0,5 point. Une substitution de la TVA aux cotisations sociales des salariés permet donc d’accroître le pouvoir d’achat des salariés, au détriment des non-salariés et des entreprises.
Une hausse de la TVA et une baisse des cotisations sociales des entreprises
La question essentielle est celle de la formation des prix de vente des entreprises. Si les entreprises répercutent l’intégralité de la baisse des cotisations sociales qu’elles paient dans leurs prix de vente, les prix y compris TVA ne bougent pas (la hausse de la TVA compense la baisse des cotisations sociales) et cette mesure est équivalente à une dévaluation, parce que, comme la TVA ne s’applique pas aux produits exportés et s’applique aux produits importés, le prix relatif des exportations par rapport aux importations baisse. Le risque si cette politique de remplacement des cotisations sociales des entreprises par la TVA est poursuivie, est que les entreprises montent leur taux de marge en réaction à la baisse des cotisations sociales, ce qui ferait apparaître de l’inflation et disparaître l’effet favorable sur le commerce extérieur.
Baisser le taux d’impôt sur le revenu et accroître la taxation des héritages
Cette proposition peut sembler surprenante puisque nous avons vu que le poids de l’impôt sur le revenu était faible en France et le poids de la taxation des héritages élevé par rapport à celui observé dans les autres pays européens. Mais, cette évolution de la fiscalité réduirait la rente qui provient de l’héritage (aujourd’hui, en France, 60 % de la fortune a été héritée contre 30 % en 1970, ce qui constitue bien une rente et n’incite pas à l’effort) et accroîtrait le dynamisme de l’économie, un supplément de travail conduisant à une hausse plus forte du revenu net d’impôt.
Il existe une anomalie dans la taxation des héritages en France ; les 0,1 % d’héritiers les plus fortunés ne paient en moyenne que 10 % de droits de succession. On peut donc songer à plafonner les exonérations de droits de succession de Pacte Dutreil, ce qui conduirait aussi à l’ouverture du capital des entreprises familiales (par exemple à des fonds de Private Equity), ce qui est favorable aussi au dynamisme de l’économie.
Adopter les règles internationales de taxation de la fortune
La proposition a été faite au G20 d’un impôt mondial au taux de 2 % sur les patrimoines des milliardaires (en dollars). Pour éviter le risque de délocalisation, le France devait adhérer à cette proposition internationale et ne pas prendre de mesures nationales de taxation de la fortune.
Deux mesures centrales dans une réforme fiscale efficace
Ces deux mesures centrales sont d’une part la baisse des cotisations sociales, patronales et salariales, compensée par la hausse de la TVA (ce qui procure une hausse des salaires nets et des effets équivalents à une dévaluation de la devise) et d’autre part la baisse l’impôt sur le revenu compensée par la hausse de la taxation de l’héritage (ce qui réduit les rentes liées à l’héritage et est favorable au dynamisme de l’économie).
Même si la pression fiscale totale est élevée en France, ces évolutions de la structure des impôts, pour une pression fiscale donnée, seraient favorables en permettant d’accroître les salaires, d’améliorer la compétivité-prix, d’éviter une concentration exagérée des patrimoines qui réduirait le dynamisme de l’économie en ne permettant pas au plus grand nombre de disposer d’un capital suffisant pour pouvoir entreprendre.