L’année 2022 aura été difficile pour le monde de la culture, entre les turbulences traversées par l’édition et les difficultés rencontrées par le spectacle vivant ou le cinéma. Pour Françoise Benhamou, les tendances de fond à l’œuvre obligent le secteur à changer de modèle.
Le livre est le cadeau le plus souvent déposé au pied du sapin. Cette année ne dérogera sans doute pas à la tradition, d’autant moins qu’en temps de crise, le livre rassure et fait rêver. Il fut à la fête tout au long de l’année 2021, porté par un engouement populaire et par les effets du « pass Culture », qui a particulièrement stimulé les achats de mangas et fait prendre ou reprendre aux jeunes les chemins de nos librairies.
Mais 2022 est une année plus difficile : le coût du papier a augmenté de 30 à 50 %, selon les types de produits, et les prix ne sauraient croître sans affecter le niveau des ventes. Cette incertitude pèse d’autant plus que l’avenir du secteur est troublé par les suites du rachat de Lagardère (propriétaire d’Hachette) par Vivendi (propriétaire d’Editis), avec une probable revente d’Editis qui rebattra les cartes du secteur dans une direction encore inconnue.
L’impossible retour au « monde d’avant »
Si l’on va du côté du spectacle vivant, l’incertitude est tout aussi grande. Certes, le ministère de la Culture annonce que les recettes trimestrielles du spectacle vivant marchand dépassent leur valeur d’avant-crise. Mais, hormis quelques salles qui parviennent à se remplir à la faveur de créations de grande qualité ou grâce à l’attractivité de superstars, le doute est grand quant à la capacité de revenir au monde d’avant dans la partie publique et non-marchande de ce secteur, largement dominante, dont le public ne redécouvre les charmes qu’à pas comptés.
En ce qui concerne la fréquentation du cinéma, elle a vécu deux années de vaches maigres : 65 millions d’entrées en 2020, 96 millions en 2021. La fin de 2022 voit un frémissement après des mois de calme plat . Les spectateurs, moins sensibles à l’attrait des salles, se sont massivement abonnés aux plateformes de streaming, qui passent par-dessus la salle pour proposer leurs créations directement. Ils contribuent ainsi à la mise en question de la chronologie des médias, pilier de notre politique culturelle.
Dans les musées enfin, les visiteurs sont bien moins nombreux que lors des années de l’avant-Covid, tandis que les interventions des activistes du climat poussent à accroître les coûts de sécurité. L’explosion des coûts de l’énergie conduit certains d’entre eux à fermer deux jours par semaine (comme à Strasbourg), à rebours des efforts pour plus d’ouverture et de convivialité.
Vers de nouveaux modèles, plus sobres et plus modestes
Comme dans d’autres secteurs, la question environnementale impose la recherche de nouveaux modèles, plus sobres, plus modestes, plus enclins à privilégier des expositions ou des spectacles qui font appel à des artistes locaux plutôt qu’à des œuvres ou à des artistes venus du bout du monde. Et certaines de ces nouvelles créations remportent de jolis succès.
Le monde culturel n’échappe guère à ce qui se passe dans les autres secteurs de l’économie. Face à l’impératif environnemental, à la concentration et à ses dégâts éventuels pour la diversité culturelle (la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, s’est inquiétée tout récemment des risques de réduction du choix et de hausse du prix de vente des livres du fait de la concentration), face au poids des Gafan (Google-Alphabet, Apple, Facebook-Meta, Amazon, Netflix) qui captent une part de la valeur, et devant les diktats du numérique, tout à la fois fossoyeur et sauveur de cette économie, quand les publics migrent vers des pratiques numériques mais acceptent, in fine, de payer pour cela, les acteurs de la culture sont sommés de se réinventer.