Encadrement des loyers, accessibilité des logements, verdissement de l’immobilier… on dénombre environ 3 500 textes techniques et juridiques en France censés apporter autant de réponses aux enjeux sociaux, écologiques ou économiques du logement. Au risque de « faire mourir le malade guéri » ? Nous avons posé la question à un promoteur immobilier, Nicolas Joly, et à un essayiste, Robin Rivaton.
Cet article est extrait du deuxième numéro de la revue Mermoz, « Le toit nous tombe-t-il sur la tête ? ».
« La furie réglementaire se traduit par des centaines de millions d’heures de travail qualifié dépensées chaque année »
Par Robin Rivaton, directeur général de Stonal
Alors que l’agriculture a bruyamment manifesté sa colère face à l’avalanche des normes, un autre secteur ploie sous leur poids, le logement. La principale différence est qu’il est immunisé de la concurrence internationale. Si cette inflation normative se traduit par une envolée des coûts de production du logement neuf, personne ne peut donc se détourner des producteurs nationaux.
La production d’un logement neuf obéit à une équation simple. Il requiert un foncier, des matériaux de construction et du travail. Le coût de ces éléments est structurellement orienté à la hausse. Le foncier, parce qu’il est détenu par une myriade de particuliers, notamment en zone dense, est relativement inélastique. Les matériaux de construction ont vu leur prix flamber avec la perturbation des chaînes de valeur et la crise énergétique. Le travail peu qualifié, dont le réservoir de main d’œuvre est principalement domestique, est de moins en moins attractif. La substitution capital-travail, qu’elle provienne d’une mécanisation des outils sur site ou d’une incorporation supplémentaire de valeur ajoutée dans les matériaux en amont, implique des changements culturels profonds mais aussi des pratiques de marché rigides comme la couverture des risques par les assureurs. Le travail qualifié pour la production de logements neufs est sans doute le moins contraint mais il subit la tension générale du marché de l’emploi.
Au-delà de ces déterminants de base, le prix de ces différents entrants est régi à la fois par des normes et une interprétation des normes à travers la délivrance d’une autorisation d’urbanisme. À compter du 1er septembre 2021, le système de douche à l’italienne a été rendu obligatoire dans les salles de bains de tous les logements neufs afin d’améliorer l’accessibilité des salles d’eau aux personnes handicapées et aux personnes âgées. Le surcoût est d’environ 4 000 euros par douche. La réglementation environnementale RE 2020, destinée aux constructions neuves, est en vigueur depuis le 1er janvier 2022 pour atteindre la neutralité carbone de ces constructions en 2050. Un architecte des Bâtiments de France peut demander le recours à tel revêtement de façade plus onéreux pour un projet. L’objectif de zéro artificialisation nette des sols n’augmente pas immédiatement les coûts mais, en rendant des terrains interdits à l’artificialisation, il les renchérit à long terme.
Je ne cite ici que des lois parmi les plus visibles mais des centaines d’arrêtés et de décrets fleurissent chaque année, expliquant pourquoi les codes de la construction comme celui de l’urbanisme, illustres podagres, s’empâtent. J’ai eu le plaisir de siéger comme personnalité qualifiée au sein du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique entre 2021 et 2024. La furie réglementaire se traduit par des centaines de millions d’heures de travail qualifié dépensées chaque année par les constructeurs de logement pour digérer ces textes.
Il est très difficile de supprimer des normes. Leurs prémisses sont généralement fondées. Pour aller dans le sens d’une libéralisation réelle du secteur corseté du logement, il faut envisager une concurrence entre les territoires. Aujourd’hui, toutes ces normes frappent à l’échelle nationale. Il faudrait en rendre un certain nombre optionnel et donner aux objectifs chiffrés des marges de manœuvre. Ainsi l’objectif de zéro artificialisation nette pourrait s’envisager entre 2040 et 2060, la douche à l’italienne serait une option et l’avis de l’autorité environnementale pourrait ne pas être conforme. Il serait alors aisé de mesurer le nombre de logements supplémentaires produits et les électeurs pourraient alors décider ce qu’ils priorisent entre loger, loger bien et loger vert.
« Répondre aux enjeux environnementaux aujourd’hui, pour rester dans la course demain »
Par Nicolas Joly, directeur général d’Icade
Le marché de l’immobilier est en crise. Une crise profonde, inédite, qui trouve ses racines dans la conjonction de plusieurs facteurs : hausse des taux, fin du Pinel, départ des investisseurs privés… C’est donc d’abord et avant tout une crise de la demande, et qui s’ancre avec - 46 % de réservations en février 2024 par rapport à l’année dernière.
Les promoteurs sont tous durement touchés. Et à l’autre bout de la chaîne, nos concitoyens ne peuvent plus se
loger : la fondation Abbé Pierre estime à 400 000 par an le nombre de logements supplémentaires pour répondre à la crise. Il est donc impératif de continuer à agir, à construire.
Pour cela, il faudrait agir sur la demande pour relancer le marché. Nous ne pouvons porter dans nos bilans des opérations qui ne trouvent pas preneur. Seule la confiance des acquéreurs et investisseurs permettra la sortie de crise.
Toutefois, je suis convaincu que cette crise doit être l’occasion de définir un nouveau modèle immobilier, plus durable. Et les normes sont là pour cadrer la réflexion. Je suis résolument favorable à celles qui visent à protéger l’environnement et la nature. Elles sont contraignantes, parfois très/trop ambitieuses. Mais elles nous poussent à innover, à penser différemment et à prendre nos responsabilités. Avec parfois la nécessité d’adapter rapidement certaines d’entre elles, comme sur la construction bois, si nous voulons atteindre nos objectifs. Nous attendons donc un État et une administration partenaires, à l’écoute et force de proposition. Je pense notamment à des initiatives type PUP carbone qui pourraient être généralisées pour permettre de « financiariser » ces sujets environnementaux à un moment où les acquéreurs ne le font pas spontanément. La simplification est une bonne chose, pour accélérer certains projets vertueux. C’est la ligne prise par le Gouvernement pour
raccourcir les délais et réduire les coûts.
Je suis convaincu qu’il nous faut montrer dès aujourd’hui que cette nouvelle façon de construire est possible, en densifiant la ville, en transformant les immeubles de bureaux et en étant aux côtés des élus pour mieux expliquer ces projets aux habitants. Nous devons également travailler au niveau de la filière tout entière, pour construire des projets démonstrateurs, répondant aux enjeux de la ville à 2050. C’est ce que nous ambitionnons de faire à La Jallère à Bordeaux ou encore à Blagnac. Il faut également faire filière, inciter l’ensemble des acteurs à s’aligner sur ces nouveaux modèles : l’utilisation du bois, de la paille, de la terre crue, la préfabrication… bref construire décarboné !
Dans un moment économique et financier volatil, construire durable a un surcoût difficilement acceptable pour nos clients. Je reste néanmoins persuadé que prendre le tournant aujourd’hui sera très rapidement un avantage compétitif. Il convient donc d’agir également sur une meilleure maîtrise du coût du foncier.
À quelques semaines de la plus grande compétition sportive au monde, le Village des athlètes nous rappelle qu’en se donnant les moyens collectivement, faire vite et mieux est possible. Je dirai enfin qu’il s’agit aussi d’une responsabilité sociétale des acteurs de l’immobilier que de construire en conscience pour les générations futures.